By IWACU
Ce jeudi 11 janvier, le ministre de l’Intérieur, de la Sécurité publique et du Développement communautaire a annoncé la fermeture des frontières entre le Burundi et le Rwanda. « Un recul diplomatique », déplorent les politiques. A Ruhwa, sur la frontière, c’est la désolation.
Réalisé par Pascal Ntakirutimana, Rénovat Ndabashinze et Emery Kwizera
L’information en rapport avec la fermeture des frontières avec le Rwanda a commencé à circuler sur les réseaux en début d’après-midi. « Des rumeurs ? Intox ? » Notre rédaction s’est interrogée pendant un certain temps. Finalement, des tweets tombent, un après l’autre. Finalement, on apprend le contexte dans lequel le ministre Martin Niteretse a fait cette annonce.
« C’était au cours d’une réunion avec les administratifs à Kayanza », précise un tweet d’un confrère qui était là. Prudence oblige. Pour se rassurer, on cherche à joindre le ministre.
Nous aurons un son en langue nationale, Kirundi. « Nagomba ndabamenyesheko ntasaha zibiri zirahera burya twasanze dufise umubanyi mubi : Paul Kagame, n’umubanyi mubi, président wu Rwanda. » Ce qui peut se traduire : « Je voudrais vous informer, il n’y a pas encore deux heures, nous avons constaté que nous avons un mauvais voisin : Paul Kagame, président du Rwanda est un mauvais voisin. »
Après, il a annoncé la décision : « Nous avons suspendu les relations avec lui jusqu’à ce qu’il se ressaisisse. Car, il n’est pas bien intentionné. C’est lui qui héberge les malfaiteurs qui perturbent le Burundi. Presque tous ces fauteurs de troubles passent par là. »
Ce n’est pas tout comme décision. « Aujourd’hui, nous fermons les frontières. Personne ne passera plus. La décision a été prise. Je vous l’annonce. Que personne ne se dit qu’il va passer par Gasenyi-Nemba ou Kanyaru vers le Rwanda. Jamais. Même leurs ressortissants qui étaient sur notre sol, je les ai refoulés. »
Le ministre Niteretse signale qu’il avait d’ailleurs demandé un rapport à tous les gouverneurs sur les étrangers vivant au Burundi. « Ils savent quand ils l’ont remis. Et nous l’avons exploité. Et cela s’est bien passé. Il y a comment le pays doit être dirigé. »
Et d’interpeller les administratifs présents dans cette réunion : « Ne vous dites pas que la sécurité concerne seulement le commissaire communal ou provincial, c’est une affaire de tout le monde. Ce n’est pas pour le colonel qui dirige une région militaire. Non. Ça nous concerne tous. »
D’après lui, les administrateurs doivent collaborer avec les chefs de zone pour veiller sur la sécurité du pays.
Des militaires rwandais en reconnaissance ?
Dans cette réunion, Rémy Cishahayo, gouverneur de Kayanza, a indiqué que les frontières sont bien gardées par les forces de l’ordre et de sécurité. « Les comités mixtes de sécurité sont à l’œuvre et, jusqu’à cette heure, leur travail est apprécié. Et ce, dans la quadrilogie », a-t-il souligné. Et d’indexer les militaires rwandais : « Ces deux dernières semaines, les militaires rwandais ont traversé légèrement la frontière. Ils ont rencontré un citoyen burundais et ils l’ont malmené. Et ils ont rebroussé chemin, mais il n’y a pas eu de dégâts parce que les militaires burundais en patrouille sont passés dans les environs. »
Selon ce gouverneur, il peut s’agir des militaires rwandais qui étaient en mission de reconnaissance pour, peut-être, voire où se trouvent les militaires burundais. Il a ainsi signalé qu’actuellement, il n’y a plus de relations, au niveau provincial, entre les Rwandais et les Burundais. « C’est inutile de continuer à entretenir de bonnes relations alors qu’ils hébergent notre ennemi. S’ils se ressaisissent, nous pourrons reprendre ces relations. »
A Ruhwa, un coup de tonnerre
A Cibitoke, l’annonce de fermeture de la frontière Ruhwa suscite des remous. Cette situation, d’après diverses sources concordantes a choqué les habitants et les commerçants de part et d’autre de la frontière.
Sur place, ce jeudi était le jour de marché à Rugombo et Bugarama respectivement dans la province de Cibitoke au Burundi et le district de Rusizi au Rwanda.
D’après les informations recueillies à la frontière, les commerçants et les habitants qui avaient fait le déplacement aujourd’hui vers ces marchés étaient bloqués et éprouvaient des difficultés à retourner dans leurs pays respectifs.
A l’unanimité, les habitants interrogés demandent encore une fois la réouverture de cette frontière pour favoriser la libre circulation des biens et des personnes.
Dans un communiqué posté sur son compte X (twitter), le gouvernement du Rwanda dit regretter la fermeture unilatérale de la frontière par le Burundi. Il indique qu’il a appris par les médias « la décision unilatérale » du gouvernement du Burundi de fermer à nouveau ses frontières avec le Rwanda. Cette décision « malheureuse » restreindra la libre circulation des personnes et des biens entre les deux pays et viole les principes de coopération et d’intégration régionale de la Communauté Est-Africaine. », précise le communiqué.
Réactions
Simon Bizimungu : « Une mesure prise dans la précipitation »
« Il est triste de voir encore une fois que les relations entre le Burundi et le Rwanda se détériorent », déplore Simon Bizimungu, secrétaire général du parti Congrès national pour la liberté (CNL). Or, fait-il savoir, ces derniers jours, des visites des hautes autorités de part et d’autre étaient observées.
Il peut arriver que deux pays limitrophes ne s’entendent pas mais, conseille-t-il, il est sage d’engager le dialogue pour trouver une solution sans casser les pots.
« Il est vrai que cette décision aurait été prise pour des raisons politiques mais une telle mesure prise dans la précipitation aura des conséquences lourdes sur les populations des deux pays », alerte-t-il.
Le parti CNL conseille les autorités des deux pays à comprendre que ce sont des pays frères qui partagent beaucoup de choses. Il les invite à cohabiter pacifiquement. Et de recommander : « Que les autorités des deux pays se mettent ensemble pour trouver une solution à leur différend au lieu de prendre des décisions qui musèlent leurs populations respectives ».
Patrick Nkurunziza : « Cette fermeture ne sanctionne que les populations »
Le président du parti Sahwanya-Frodebu rappelle que sa formation politique a déjà annoncé sa position sur les relations entre le Burundi et le Rwanda. « Tout litige entre les deux pays doit être réglé par voie diplomatique »
Il fait savoir que la fermeture des frontières était prévisible après l’annonce du chef de l’Etat. Cependant, regrette-il, la fermeture des frontières est une mauvaise solution car, hormis qu’elle ne résout pas le problème, elle rend difficiles les conditions de vie des populations vivant sur les frontières en leur privant des échanges commerciaux ainsi que d’autres services qu’elles se rendent quotidiennement.
D’après M.Nkurunziza, « cette décision sanctionne beaucoup plus les populations que le gouvernement rwandais.» C’est pourquoi, le FRODEBU réitère sa proposition de résoudre la crise entre les deux pays par voie diplomatique, insiste-t-il.
Aloys Baricako : « Quand les frontières sont fermées, nous sommes tous perdants »
« Nous avons accueillons avec désolation cette mesure qui vient d’être prise par le gouvernement burundais de fermer les frontières avec notre voisin du nord, le Rwanda. On avait souhaité que la diplomatie puisse jouer son rôle pour que les relations qui commençaient à se normaliser puissent s’améliorer davantage », a déclaré Aloys Baricako, président du parti Ranac. Au niveau de son parti, il demande que le dialogue puisse être relancé pour que les relations bilatérales puissent se normaliser.
Il rappelle que le Burundi tient mordicus que des fauteurs de troubles sont hébergés au Rwanda. Mais il affirme qu’il faut différencier les choses : « Durant la crise de 2015, il y en a qui ont fui le pays. Certains étaient accusés d’avoir fomenté un coup d’Etat, d’autres ont fui pour des raisons politiques et d’autres raisons inconnues. »
Concernant ceux qui sont au Rwanda, il observe qu’il y a des réfugiés : « Le Rwanda ne peut pas les chasser parce qu’ils sont sous l’autorité du HCR. Mais, pour les autres, on peut dialoguer. »
Et de suggérer : « Mais pourquoi ne peut-il pas y avoir l’ouverture des débats au niveau de la justice pour qu’on puisse analyser cas par cas. Ceux qui ne seraient pas impliqués dans la tentative de putsch pourraient avoir le droit de rentrer dans leur pays. »
En outre, pour en finir une fois pour toute avec cette question, il estime que le président de la République pourrait amnistier ceux qui sont à l’extérieur du pays et leur demander de rentrer sauf ceux qui déclarent appartenir à une rébellion. « Pour ces derniers, le gouvernement va mettre en place des mesures pour combattre cette rébellion et la chasser définitivement du territoire pour que le peuple burundais reste dans la tranquillité ».
Il faut relancer le dialogue entre les deux pays à différents échelons, insiste-t-il, pour que nos relations puissent revenir à la normale comme auparavant. « En tout état de cause, quand les frontières sont fermées, nous sommes tous perdants », conclut-il.
Gabriel Banzawitonde : « Une satisfaction »
Gabriel Banzawitonde indique que son parti, APDR n’a pas d’objection. « On avait suggéré que le Burundi puisse rompre les relations avec le Rwanda car on a constaté que le Rwanda ne veut pas coopérer avec le Burundi. »
Le parti APDR avait demandé au gouvernement de suivre de près les mouvements d’entrée et de sortie du Rwanda.
Son parti est satisfait par la mesure. « Cela permet de lutter contre toute tentative d’infiltration des ennemis au Burundi à l’approche des élections de 2025. »
Hamza venant Burikukiye : « Un mal nécessaire »
Hamza Venant Burikukiye, président de la coalition Capes+, estime que la fermeture des frontières avec un pays voisin est une chose regrettable mais que pour le moment, c’est un mal nécessaire. « La sécurité du pays et de son peuple prime sur tout et reste irremplaçable et incomparable », commente Burikukiye.
Pour lui, le Rwanda est un pays frontalier qui a choisi « d’héberger et d’appuyer les malfaiteurs criminels qui sabotent la sécurité de son voisin ». Il a donc déjà mis en cause « les relations diplomatiques en violant les Conventions sous-régionales, régionales voire internationales de bon voisinage. »
Ce responsable de la société civile estime qu’il appartient au pays provoqué ou agressé de prendre des mesures qui s’imposent pour la sécurité de son peuple.
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