By IWACU
L’Agence nationale de gestion du stock stratégique alimentaire (Anagessa) a commencé la collecte de la production de maïs dans tout le pays. Plusieurs défis sont relevés notamment le manque d’équipements nécessaires pour l’activité ainsi celui des fonds pour payer les agriculteurs. Certains craignent que des quantités énormes pourrissent dans les stocks comme en 2022.
Depuis le 19 février 2024, l’Anagessa a débuté la collecte de la récolte de maïs dans les différentes provinces. L’annonce a été faite par Marie Chantal Nijimbere, ministre en charge du Commerce le 14 février 2023 lors d’une conférence de presse.
Le ministre a précisé qu’un kg de grains de maïs s’achète 1 700 FBu. « Un prix fixé pour soutenir les efforts engagés par des agriculteurs dans l’achat des semences et des fertilisants ».
Après cette annonce, les agriculteurs se sont bousculés pour amener leur production. Cette agence fait face malheureusement à plusieurs défis.
Il s’agit notamment de l’insuffisance des équipements nécessaires à accueillir toute la récolte notamment les hangars, les sacs, l’humidimètre ainsi que les fonds pour payer les agriculteurs qui amènent leur production. Dans les provinces de Cibitoke, Ngozi et Ruyigi, certains agriculteurs n’ont pas par exemple été accueillis. Des quantités de maïs sont entassées devant des centres de collecte dans les zones faute de l’humidimètre.
D’autres agriculteurs déplorent le retard enregistré dans l’octroi des frais pour les quantités vendues. Ils rentrent avec des jetons. Il y en a aussi qui préfèrent retourner à la maison avec leurs graines de maïs. « Nous donnons notre production et on nous donne en retour des jetons comme si on peut les échanger avec d’autres produits sur le marché », se désole un agriculteur de la commune Ngozi.
Pour un agriculteur de la commune Rugombo à Cibitoke, il est inconcevable que l’Etat achète sans argent. Il s’interroge sur les vraies motivations. « Pourquoi commencer à acheter sans avoir de capital nécessaire ? Notre production n’est pas à donner à crédit. Nous avons besoin d’argent pour nous procurer ce dont nous avons besoin ». Et de demander au gouvernement de résoudre ce problème.
Des échecs cumulés
Ce n’est pas la première fois que le gouvernement tente cette aventure controversée dans la régulation des prix des produits non stratégiques.
Depuis sa création en 2019, ce projet cumule les échecs. La conservation des denrées alimentaires pose problème. Il a été constaté une insuffisance des hangars et un manque de suivi des stocks. Ce qui a occasionné la pourriture d’une bonne partie des stocks de maïs en 2022.
Des photos qui ont circulé sur les réseaux sociaux faisaient froid dans le dos. Dans la foulée, le 27 octobre 2022, le directeur général de l’Anagessa, Evariste Manirambona, est suspendu. Le ministre de l’Environnement, de l’Agriculture et de l’Elevage de l’époque, Sanctus Niragira, fait savoir que « cette mesure résulte du manquement professionnel entraînant des pertes énormes au sein de l’agence ».
Au niveau des prix, cette agence n’a fait qu’aggraver la situation. Alors que la croissance de la production devrait normalement être suivie par la baisse des prix sur le marché, on assiste à une volatilité des prix des céréales.
« A quoi bon de faire des stocks alors que les prix des denrées alimentaires ne cessent de monter et que le prix d’achat des citoyens est faible. Pourquoi ne pas distribuer ce maïs à des gens qui meurent de faim ou à des écoles à régime d’internat ? ou les vendre à un prix moins élevé », s’insurge un internaute. « Suspendre ceux qui font mal leur travail est une bonne chose. Toutefois, il faut que les choses changent car l’allure sur laquelle les prix des denrées de première nécessité montent fait craindre le pire. Même un fonctionnaire peut dormir le ventre creux. Que dire d’un simple citoyen ? Il faut des mesures pour arrêter cette flambée des prix », écrit un citoyen.
L’Anagessa s’explique
Selon Joseph Nduwimana, directeur général de l’Anagessa, après une semaine de collecte du maïs dans tout le pays, 1 300 tonnes sont déjà collectées.
Il signale que les deux campagnes écoulées se déroulaient dans les communes. Pour le moment, la campagne se déroule dans toutes les zones. Cela occasionne des efforts supplémentaires en matière de moyens. Et pour cause, « on passe de 120 centres de collecte à plus de 411. Des efforts importants en matière d’équipements de collecte et du personnel nécessaire doivent être déployés. Ça vaut la peine pour le producteur surtout que même au moment de l’écoulement de ces produits, on ne devra pas faire de longues distances ».
Concernant les plaintes des agriculteurs sur l’insuffisance des équipements comme l’humidimètre et le manque de fonds, Joseph Nduwimana parle de lourdeur dans les procédures de décaissement des fonds. Des défis existent aussi car les besoins sont énormes. « Le problème de fonds c’est un problème de procédure. Il y a des transferts des fonds qui peuvent prendre deux jours. J’espère que le problème sera réglé », rassure-t-il.
Il explique que chaque fois qu’un problème se pose, on s’efforce de trouver la solution pour que la campagne se déroule normalement. Et de préciser que le problème d’humidimètre ne se pose plus.
Interrogé sur pourquoi les agriculteurs sont tenus de vendre au gouvernement leurs productions de maïs via l’Anagessa, son directeur général se défend. « D’autres qui veulent le faire sont les bienvenus. A condition qu’ils respectent le prix fixé par le gouvernement Le gouvernement n’a pas d’objectif commercial mais il encourage d’investir dans le secteur agricole en lui offrant un prix rémunérateur ».
Sur les informations faisant état d’énormes quantités qui ont pourri dans des stocks de cette agence, il nuance. Pour lui, les informations qui ont circulé ont été trop amplifiées. Il reconnaît néanmoins des pertes d’au moins 3% des quantités collectées.
Joseph Nduwimana refuse néanmoins de s’exprimer sur ce que gagne le gouvernement en revendant la production collectée. Il balaie aussi d’un revers de la main les accusations de certains que l’Etat est devenu commerçant. « Le gouvernement n’a pas de but commercial. Il est seulement question de réguler les prix sur le marché et de limiter l’effet des spéculateurs. Le prix auquel le mais est acheté est de 1 700 FBu au moment où le prix de vente sera de 1 800 FBu. Vous voyez que la différence est minime ».
Tabler sur le rôle des acteurs dans le développement
Faustin Ndikumana, directeur national du Parcem donne des conseils par rapport à l’Anagessa. Il fait remarquer que si le Burundi veut atteindre l’émergence en 2040 et le développement en 2060, il faut tabler sur la précision du rôle des acteurs dans le développement. « Il y a l’Etat, le secteur privé, la société civile, les églises et autres », précise-t-il.
Primo, si nous voulons atteindre l’émergence, dit-il, il faut nous appuyer sur un secteur privé efficace, dynamique et relayé par les actions publiques comme la construction des infrastructures efficaces et autres. « Le gouvernement ne devrait pas pratiquer le commerce car il n’y a pas un seul gouvernement au monde qui s’est rendu efficace en pratiquant le commerce des produits agricoles ou des produits finis, ce n’est pas le rôle de l’Etat par essence et par excellence ».
Secundo, Parcem trouve qu’au niveau pratique, si l’Etat achète un kg de maïs à 1700 FBu et qu’il le revend à 2 200 FBu aux commerçants ou à d’autres acteurs comme le PAM, cela pourra ouvrir les portes à la spéculation. Actuellement, au moment de l’achat du maïs, il y a beaucoup de lamentations de la part des agriculteurs par rapport aux pertes liées à la mauvaise qualité du maïs.
Tertio, Faustin Ndikumana constate que le gouvernement va renforcer la spéculation des cadres et agents de l’Etat dans la corruption et le détournement étant donné qu’une grande partie des hauts cadres sont devenus des commerçants.
Cet activiste de la société civile appelle le gouvernement à plutôt s’atteler aux activités classiques comme rendre disponibles les engrais de qualité et les semences sélectionnées ; la mécanisation agricole : la recherche scientifique pour appuyer le secteur agricole. Il parle également de la disponibilité des produits phytosanitaires ; de l’accès à la terre ; de l’encadrement et de la vulgarisation agricole ainsi que du renforcement de la transformation agricole pour mieux gérer les filières agricoles.
En 2022, le gouvernement en a acheté aux producteurs le surplus de 14 000 t. Les députés avaient demandé s’il y a eu une analyse sur les avantages économiques du projet. Et le ministère de tutelle de répondre qu’une étude avait montré que lorsque la récolte est surabondante, les agriculteurs gèrent mal le surplus.
« Le gouvernement se chargera de trouver des marchés d’écoulement de la récolte de maïs », avait promis le 7 septembre 2021, la ministre du Commerce de l’époque devant l’Assemblée nationale. D’après elle, le souci du gouvernement est de s’acquitter de son rôle de régulateur en achetant la récolte de maïs aux producteurs pour la stocker dans des endroits connus avant de la déverser sur les marchés. Elle assurait que le gouvernement ne voulait pas se substituer aux commerçants et que ce n’est plus un secret pour personne que ces derniers spéculent.
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