By IWACU
L’Usine Sodeco de Songa en province Gitega est cédée à 95% à la société Budeca. Le prix de cette acquisition est de 2 millions de USD
Les réformes de la filière café ont débuté vers les années 1990. Elles ont été suspendues par la crise politique et la guerre qui ont éclatées à partir de 1993. Sous l’impulsion de la Banque mondiale, le gouvernement a décidé, en 2009, d’enclencher le processus de désengagement de l’Etat dans la filière. C’est le début d’une longue période houleuse.
Le gouvernement est bien obligé de se plier aux injonctions de la Banque mondiale et d’adopter une stratégie de réforme comprenant la privatisation de l’outil de production et de libéraliser la commercialisation du café. En juin 2009, fut créée une Autorité de régulation de la filière café au Burundi (Arfic), chargée de diffuser l’information technique et financière intéressant le secteur ainsi que de conseiller l’Etat dans sa politique de transformation et de commercialisation du produit. En décembre de la même année, fut créé l’Intercafé réunissant tous les acteurs : planteurs, usiniers et exportateurs. Il est, entre autres, chargé de participer à la définition des objectifs de la filière en rapport avec la politique sectorielle du gouvernement.
Malgré les protestations des caféiculteurs, le Groupe suisse Webcor se voit attribuer trois lots équivalant à treize stations de dépulpage et de lavage au prix d’un million de dollars. Cela a suscité un tollé car les caféiculteurs jugeaient le prix d’achat dérisoire alors que l’Union européenne avait injecté, en 2008, un montant de 19 millions d’euros pour la seule rénovation des 133 stations de lavage.
C’est le début d’un long conflit entre les associations des producteurs du café, les nouveaux investisseurs et l’Etat. Les producteurs réunis au sein de la CNAC qui se voient dépossédés de leur outil de transformation ont saisi la justice, mais en même temps, ils ont demandé aussi un dialogue avec le gouvernement. Le 20 janvier 2011, un atelier de concertation et d’échange sur cette privatisation a réuni tous les intervenants dans la filière avec comme thème, « Un consensus est possible ». Les structures gouvernementales qui étaient présentes à cet atelier sont le ministère à la Présidence chargé de la Bonne gouvernance et de la privatisation, l’Arfic, le comité des réformes de la filière café et le Scep.
A l’issu de cet atelier, des engagements ont été pris par les représentants du gouvernement notamment la révision participative de la stratégie de privatisation en cours avant le deuxième appel d’offre, en y intégrant les préoccupations des producteurs ainsi que l’évaluation objective de la première vente pour tirer les leçons appropriées.
L’un des objectifs principaux annoncés dans la stratégie de désengagement de l’Etat dans la filière café était l’amélioration du prix au producteur. Or, dans les provinces où Webcor a acquis des stations, la multinationale payait le café aux producteurs à un prix nettement inférieur à celui des usines contrôlées par les autres acteurs de la filière. Elle a en effet payé 350 BIF/kg de cerise contre 490 BIF/kg payés par les autres acteurs.
La Confédération nationale des associations des caféiculteurs du Burundi (Cnac Murima w’Isangi) a alors dénoncé cette pratique d’achat à bas prix et mis en garde le gouvernement sur le risque de révolte populaire pour réclamer le droit le plus élémentaire des producteurs.
Les caféiculteurs s’insurgent
Cette privatisation de la filière café est décriée dès le début par les associations des producteurs de café. Pour elles, la privatisation est un échec. Elle n’a rien apporté au caféiculteur. Elles affirment que la privatisation n’a produit que des résultats négatifs car les sociétés de déparchage réalisent des bénéfices au détriment des caféiculteurs qui ont vu les prix chuter.
Pour Léonidas Habonimana qui était commissaire général des Services chargés des entreprises publiques (Scep), la privatisation de la filière café est une réussite car l’Etat a toujours subventionné le secteur, mais la production et la qualité n’augmentaient pas proportionnellement aux fonds injectés. De plus, le désengagement de l’Etat a eu des effets positifs sur notamment les prix au producteur et l’encadrement du caféiculteur dans certaines régions comme Gitega.
« Nous ne sommes pas contre la privatisation de la filière café, nous ne sommes pas animés par l’égocentrisme, nous refusons d’entrer en mouvement comme des fictifs, des assistants. Nous plaidons pour une privatisation concertée », a indiqué Macaire Ntirandekura, assistant chargé du plaidoyer au sein de la Cnac lors d’une conférence de presse au White Stone.
« Malgré sa forte dépendance des bailleurs de fonds étrangers, le gouvernement ne doit pas abandonner ses responsabilités et son rôle. Un Etat souverain doit se prononcer sur les conditions liées à l’octroi d’un don. La situation actuelle empêche le gouvernement burundais de développer et de défendre sa propre politique. Il n’arrive pas par exemple à garantir un prix minimum pour les producteurs du café. » Pour cette confédération, le gouvernement suit aveuglement la stratégie de la Banque mondiale.
Dans la foulée, le gouvernement a annoncé l’intention de lancer un nouvel appel d’offres pour la vente des stations de lavage restantes sans aucune révision participative de la stratégie de privatisation selon es caféiculteurs. Le 6 mai 2011, la Confédération nationale des associations des caféiculteurs du Burundi, Inades-Formation Burundi et l’Appui au développement intégral et la Solidarité sur les collines (Adisco) ont animé une conférence de presse sur la privatisation de la filière café au Burundi sous le thème : « Les voies de dialogue n’aboutissent à rien parce que le gouvernement n’écoute pas les cris de son peuple ».
Ils ont alors décidé de changer de stratégie. Les producteurs de café se sont organisés pour vendre leur cerise au mieux offrant : c’est-à-dire les Sogestals et tous les autres privés sauf Webcor. Bien plus, beaucoup de coopératives de café se sont mises à construire leurs propres stations de lavage sans ou avec l’aide des bailleurs de fonds internationaux qui soutiennent les revendications des caféiculteurs. « Webcor et les investisseurs potentiels doivent comprendre que les producteurs de café ne se laisseront pas faire. »
Ces organisations ont alors demandé l’annulation du second appel d’offres pour la vente des stations aux multinationales extérieures tant que les acteurs concernés ne se seront pas concertés et prononcés sur la meilleure stratégie de privatisation à mettre en œuvre. La Banque mondiale est exhortée à revoir les conditions de soumission aux appels d’offres, « qui excluent de fait les caféiculteurs burundais non seulement du processus de décision mais aussi de l’acquisition de stations. »
Le 29 novembre 2011, la Cnac envoie une correspondance au président Pierre Nkurunziza où elle clarifie la position finale des caféiculteurs sur la privatisation de la filière café. « Depuis que le gouvernement du Burundi a adopté la stratégie de privatisation imposée par la Banque mondiale, nous n’avons pas cessé de dénoncer une stratégie ignominieuse qui va conduire à la destruction de la filière café ainsi que de l’économie paysanne et nationale. » D’après cette confédération, malgré plusieurs engagements pris par l’Etat burundais, l’avis des caféiculteurs n’a pas été entendu.
Comme le gouvernement venait de lancer un second appel d’offres, la Cnac fait part de ses préoccupations : « La première demande que nous adressons à l’Etat, c’est qu’il s’assure que les caféiculteurs, principaux garants de la survie de la filière, aient la garantie de bénéficier d’au moins 72% des recettes du café, comme vous l’avez proclamé en date du 1 mai 2007. » Pour les caféiculteurs, c’est un minimum équitable pour protéger les caféiculteurs des appétits insatiables des repreneurs.
La deuxième préoccupation a porté sur la propriété des infrastructures de transformation. « Les stations de lavage ont été construites grâce à un prêt de la Banque mondiale que nous avons remboursé via un prélèvement de 60FBu/kg de café pendant plus de dix ans. Ces usines nous reviennent donc de droit et ne devraient en aucun cas être bradées à vil prix (en une seule campagne de bonne récolte, l’investisseur récupère toute sa mise) à des multinationales étrangères sans une participation majoritaire (51% au minimum) des caféiculteurs au capital. »
En troisième lieu, poursuit la Cnac, nous voudrions être rassurés que les caféiculteurs continueront de recevoir les intrants et l’encadrement nécessaires pour améliorer la production et la qualité du café et être directement impliqués dans ces opérations.
La Cnac monte aux créneaux : « Malgré une évaluation négative de la première phase de la privatisation où les paysans de Ngozi et de Kayanza ont été victimes d’une escroquerie de la part du premier bénéficiaire de la privatisation et perdu jusqu’à 40% des revenus leur dus, malgré de graves tensions entre les paysans et le groupe Webcor qui s’en sont suivies, le gouvernement a décidé de poursuivre la même stratégie sans y apporter des changements notoires. »
Découragés, les caféiculteurs refusent de cautionner l’actuelle stratégie de privatisation « qui conduira inéluctablement à la destruction de la filière, à l’appauvrissement de 55% des Burundais et à la livraison en pâture des multinationales étrangères de la principale source de revenus chez les paysans et en devises du pays. »
Pour le représentant de la société Suisse Webcor, Olivier Wege, le problème était ailleurs. Il estime que les caféiculteurs commençaient à ressentir les effets de la réalité du marché. « Autrefois, l’Etat faisait tout pour que le prix octroyé au producteur reste stable. Les fluctuations des cours internationaux ne l’affectaient en rien. En cas de chute, le gouvernement subventionnait. »
Des experts onusiens alertent
« Le Burundi est en train de réformer la filière café d’une manière qui risque de déstabiliser les moyens de subsistance d’un grand nombre de petits producteurs », ont mis en garde, en 2012, le Rapporteur spécial auprès des Nations-unies pour le droit à l’alimentation, Olivier De Schutter, et l’Expert indépendant sur la dette extérieure et ses effets sur les droits de l’Homme, Cephas Lumina.
Ils estiment en effet que la privatisation de la filière encouragée par la Banque mondiale ne doit pas répéter les erreurs du passé.
« Les populations vulnérables ne doivent pas être prises en otage par les politiques du passé qui ont échoué ». Les deux experts se référaient aux politiques d’ajustement structurel qui encourageaient les pays en développement à privatiser les entreprises publiques, en particulier dans les années 1980 et 1990. « Des stations de lavage du café ont ensuite été vendues à des acteurs privés, entraînant des impacts potentiellement négatifs pour les revenus des producteurs, y compris en termes de volatilité. Il y a des signes inquiétants montrant que les intérêts des producteurs de café n’ont pas été pris en compte dans le processus de réforme malgré l’ouverture des organisations de caféiculteurs à une réforme de la filière qui leur permettrait de monter dans la chaîne de valeur. »
Pour De Schutter et Lumina, les Etats ne doivent pas confondre leurs priorités avec celles des entreprises. Et d’ajouter : « Des acteurs institutionnels comme la Banque mondiale doivent soutenir les Etats dans leurs tentatives de réformer les secteurs économiques importants mais selon des modalités qui n’exposent pas les paysans vulnérables aux aléas des marchés. » Ils ont alors appelé à la suspension du programme de privatisation jusqu’à la conclusion d’une étude d’impact complète de la réforme sur les droits humains.
Le gouvernement s’explique
En novembre 2012, le ministre des Finances d’alors, Tabu Abdallah Manirakiza, a répondu aux deux experts. Selon lui, l’Etat du Burundi a commandité, en 2008, une étude sur la stratégie de privatisation de la filière café. Cette dernière a montré que le secteur café connaît des difficultés financières et technologiques énormes.
Et de les énumérer : des déficits répétitifs des campagnes café de 1998 à 2004 totalisant plus de 17 milliards de BIF que l’Etat a supporté par les Bons et Obligations du Trésor pour garantir le prix au producteur malgré la chute des cours sur le marché international ; l’insuffisance des moyens financiers pour la maintenance de l’outil de production mis à la disposition de la filière café par l’Etat du Burundi ; le recours à la garantie de l’Etat pour le financement de la campagne café.
« Même s’il y a eu vente des stations de dépulpage et lavage du café, le café est resté propriété des caféiculteurs. La multiplicité des investisseurs privés dans le maillon de transformation primaire de café (maillon des dépulpeurs), les producteurs restent avec une multitude de choix de vente des cerises. Et le café cerise est vendu à celui qui offre le meilleur prix. »
Selon le ministre Manirakiza, la réforme dans la filière café a alors permis l’abandon du système de fixation du prix au producteur par l’Etat pour laisser la place au système de fixation du prix au producteur en fonction de l’évolution des cours mondiaux.
Quant à l’exclusion des fermiers et entrepreneurs locaux dans l’appel d’offres, le ministre des Finances a précisé que la stratégie a prévu également de considérer la part réservataire des producteurs de 25 % car « on ne peut pas ignorer la participation des caféiculteurs dans le processus de privatisation pour la pérennité du secteur café et assurer une cogestion des nouvelles entreprises. »
Il a aussi fait savoir qu’une étude d’évaluation de la première étape du processus de désengagement de l’Etat dans la filière a été menée en avril 2011. L’étude a montré les changements importants intervenus comme l’arrivée des acteurs internationaux dans le maillon primaire et l’émergence de nouveaux acteurs nationaux dans le maillon de transformation primaire et secondaire dans le cadre d’une filière café libéralisée et privatisée. « Le mouvement associatif des producteurs se consolide et se réorganise pour conquérir des parts de marchés et le contrôle de l’industrie et la redéfinition des rôles et des responsabilités dans la filière à travers la mise en place de l’Arfic et l’Intercafé. »
Au niveau de la phase de commercialisation du café, poursuit-il, on est passé d’un système de monopole étatique à un système de passation de contrats à évolution rapide. « La réforme permet désormais aux associations des producteurs et aux entreprises privées de vendre leurs cafés directement aux acheteurs étrangers, en définissant les modalités de leurs contrats et à des prix négociés librement. »
Selon le ministre Manirakiza, les allégations de la violation du droit de l’Homme dans le processus de privatisation de la filière café ne sont pas fondées. « Probablement qu’elles ont été préparées avec de fausses informations sachant que la stratégie de privatisation n’a pas été bien accueillie par certaines gens qui préféreraient le statut quo. »
Une cacophonie s’installe
Des problèmes s’accumulent. Des caféiculteurs ne sont pas payés. En 2016, trois Sogestals de Kayanza devaient une somme estimée à 1 063 000 000 de BIF aux caféiculteurs. « Depuis fin 2015 jusqu’aujourd’hui, il y a des caféiculteurs qui n’ont pas encore reçu leur argent pour la production de 2015 », s’est insurgé Joseph Ntirabampa, président de la Cnac Murima w’Isangi).
Serges Ndayiragije, ministre de la Bonne gouvernance et de la Privatisation de l’époque, a révélé qu’à un certain moment, les banques commerciales se sont retrouvées dans l’impossibilité d’accorder des crédits aux sociétés paraétatiques ou privées œuvrant dans le secteur du café alors que ces dernières avaient déjà pris des engagements envers les caféiculteurs.
La vie des caféiculteurs devient intenable. C’est la désolation totale. La situation est au bord de l’implosion. « Seuls les commerçants s’enrichissent tandis que nous, les producteurs, tirons le diable par la queue », s’exclame un producteur de Kayanza.
Frustrés, les caféiculteurs se désintéressent de cette culture. La production dégringole. « On s’attendait au moins à une production de 17 000 tonnes. Mais, c’est à peine qu’on aura la moitié », a souligné Joseph Ntirabampa. La confiance entre les caféiculteurs et les Sogestals s’étiole. La production est vendue frauduleusement au Rwanda voisin. « Des policiers sont toujours à nos trousses. Qu’on nous laisse chercher d’autres marchés, sinon nous remplacerons le café par d’autres cultures. » confie un habitant de Bandaga en commune Matongo de la province de Kayanza.
Le gouvernement se débat. Il accepte d’avaliser les commerçants auprès des banques commerciales afin qu’ils payent toutes les dettes dues aux caféiculteurs. C’est un ouf de soulagement.
La Banque mondiale vient à la rescousse à son tour. Il promet au gouvernement un don de 55 millions de dollars destinés à redynamiser la filière café. Les caféiculteurs s’en réjouissent. « Ce don sera utilisé exclusivement dans ce secteur café pour l’intérêt de la population », a promis Déo Guide Rurema, ministre de l’Agriculture et de l’Elevage. Selon lui, c’est un travail qui sera fait en synergie avec les associations, les coopératives des caféiculteurs, etc. Et il avertit que « tout détracteur ou saboteur sera sanctionné et mis à l’écart. »
Malgré toutes ces initiatives, les problèmes et les réclamations n’ont pas cessé pour autant.
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