By IWACU
Le combat opposant l’armée congolaise et le M23 se poursuit au Nord-Kivu. Aux côtés des FARDC, le Burundi a déjà déployé ses troupes dans un « cadre bilatéral ». Egalement, la présidence de la RDC vient d’annoncer que « le Burundi figure parmi les pays contributeurs des troupes de la SAMIDRC ». Une annonce qui laisse planer l’incertitude sur la nature ou la quintessence de ce nouvel engagement. Que nous réserve cette guerre ? Que faire pour mettre un terme à ce conflit ?
Le panorama de la crise qui sévit à l’est de la République démocratique du Congo (RDC) devient de plus en plus inquiétant. Certains pays de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) se mobilisent aux côtés des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) pour combattre le Mouvement du 23 mars, communément appelé M23, qui cherche à faire la loi à l’est de la RDC.
Ces forces de la mission de la Communauté de développement de l’Afrique australe en RDC (SAMIDRC) interviennent au lendemain du départ, sur le sol congolais, des forces régionales de la Communauté est-africaine (EAC-RF).
C’est dans ce décor qu’en marge du 37e Sommet des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union africaine qui s’est déroulé à Addis-Abeba les 17 et 18 février 2024, les présidents congolais, burundais et sud-africain ont tenu une réunion tripartite sur le déploiement des troupes de la SAMIDRC.
Pour rappel, en juin 2022, les chefs d’Etats membres de la Communauté est-africaine (CEA) ont décidé de mettre sur pied une force régionale. Cette force était appelée à travailler avec l’armée congolaise en vue de mettre fin aux violences des groupes armés opérant à l’est de la RDC.
C’est dans ce contexte que le contingent burundais a alors rejoint officiellement le déploiement, sous la casquette de l’EAC, au mois de septembre 2022.
En décembre 2023, le mandat de la force régionale de l’EAC a pris fin à la demande du président Félix Tshisekedi et son gouvernement. La raison : la force régionale de l’EAC était jugée « inefficace sur le terrain ».
Le Burundi serait désormais engagé dans le cadre de la SADC ?
La réunion tripartite entre Félix Tshisekedi, Cyril Ramaphosa et Evariste Ndayishimiye, tenue le dimanche 18 février 2024 « a porté sur la coordination des opérations avec toutes les forces armées engagées aux côtés des FARDC pour combattre le RDF/M23 », informe la présidence de la RDC via son compte twitter (X). Et de poursuivre que « le Burundi non membre de la SADC a déployé ses troupes dans un cadre bilatéral ».
Or, ce même compte va plus loin dans l’information : « A ce sujet, les trois chefs d’Etat ont discuté sur la meilleure coordination sur le terrain. L’Afrique du Sud et le Burundi figurent parmi les pays contributeurs des troupes de la SAMIDRC ».
Une information qui a suscité un tollé sur les réseaux sociaux. Certaines opinions et nombre d’observateurs ont d’ailleurs du mal à comprendre comment se fait-il qu’un pays dont sa force nationale est présente en RDC dans un « cadre d’un accord bilatéral » puisse virer immédiatement sous la coordination d’une autre force déployée dans un autre cadre ? Par ailleurs, le Burundi n’étant pas membre de la SADC, comment peut-il figurer parmi les pays contributeurs des forces régionales de la SADC aux côtés des FARDC ?»
Prudence oblige, un coup de fil au porte-parole de l’armée burundaise pour en savoir plus et pouvoir éclairer l’opinion. Malheureusement, Gaspard Baratuza, nouveau porte-parole de la Force de défense nationale a clairement répondu : « Nous n’avons pas encore procédé à la remise et reprise. Je ne peux donc pas m’exprimer là-dessus ». A titre de rappel, celui-ci vient récemment de remplacer Floribert Biyereke à ce poste.
Depuis belle lurette, le déploiement des militaires burundais sur le territoire congolais a fait polémique. Mais que dit la loi burundaise sur l’opération militaire dans un autre pays ?
La saisine du Parlement, un préalable
« Normalement, qu’il se fasse dans un cadre bilatéral ou multilatéral de maintien de la paix, la présence d’une armée nationale sur le sol d’un autre pays doit ressortir d’un débat au sein du Parlement », glisse une source au sein de l’armée burundaise.
Par ailleurs, la loi fondamentale du pays est assez claire à ce sujet. Dans son article 255, la Constitution burundaise du 7 juin 2018 stipule en effet que « dans les limites déterminées par la Constitution et les lois, seul le président de la République peut autoriser l’usage de la force armée. » Et cela « dans la défense de l’Etat, dans le rétablissement de l’ordre et de la sécurité publics et dans l’accomplissement des obligations et engagements internationaux. »
De son côté, l’article 256 de la même loi énonce que « lorsque la force de défense nationale est utilisée dans l’un des cas cités au paragraphe ci-dessus, le président consulte officiellement les instances compétentes habilitées et informe le Parlement promptement et de façon détaillée sur : la ou les raison(s) de l’emploi de la force de défense nationale ; tout endroit où cette force est déployée et la période pour laquelle cette force est déployée. »
Et l’article 257 de renchérir : « si le Parlement n’est pas en session, le président de la République le convoque en session extraordinaire dans les sept jours suivant l’usage de la force de défense nationale ».
A ce sujet, un député à l’Assemblée nationale du Burundi sous couvert d’anonymat confie que certes le Parlement a été informé, mais tardivement. « Nous avons été informés de leur déploiement quand ils étaient déjà sur place. On s’est contenté de nous lire une lettre du président de la République. Le président de l’Assemblée nationale nous a enjoint d’écouter sans poser de questions. »
Depuis que le M23 a refait surface, la posture va-t-en-guerre s’est accélérée à une vitesse grand V. Le Burundi est allé jusqu’à fermer ses frontières terrestres avec son voisin du Nord. Une avalanche d’accusations en miroir et de discours maléfiques a inondé la Toile.
Or, « dans cette logique de jugement infaillible et de lutte, les préjugés se développent, les stéréotypes sont érigés, l’intolérance et le refus de la cohabitation prennent l’allure d’une épuration ethnique. Le tribalisme se renforce, engendrant ainsi la haine, la jalousie, l’orgueil, le complexe, les tendances hégémoniques et la diabolisation de l’autre. »
Bon nombre d’observateurs et politiques craignent le risque de « déflagration régionale. » Entre-temps, ces derniers jours, des messages sommant les belligérants à cesser les hostilités et à poursuivre la voie de dialogue fusent de partout.
Réactions
Simon Bizimungu : « C’est une aberration »
« Comment se fait-il qu’un pays comme le Burundi qui n’est pas membre de la SADC puisse envoyer des troupes dans une organisation dont il n’est pas membre ?», s’interroge d’entrée de jeu Simon Bizimungu, secrétaire général du Congrès national pour la liberté (CNL).
D’après lui, le déploiement de l’armée burundaise en RDC a été d’abord fait d’une façon officieuse, bien étendu au regard des commentaires qui ont été menés autour de cet envoi. Mais, compte tenu de ce qui a été dit par les autorités burundaises, on a appris que cet envoi a été fait dans un cadre bilatéral.
Pour Bizimungu, si alors la République démocratique du Congo affirme que les troupes burundaises font partie de la mission de la Communauté de développement de l’Afrique australe en RDC, cela suscite des incompréhensions du côté de ceux qui l’entendent. « Je trouve qu’il s’agit d’une aberration », réagit-il.
Et d’ajouter que cela est purement et simplement une antithèse qui mérite des éclaircissements. Seules les autorités burundaises pourraient le faire.
Selon toujours le secrétaire général du CNL, lorsqu’on analyse les discours des autorités congolaises et qu’on médite sur la lettre adressée dernièrement au Conseil de sécurité des Nations unies par le gouvernement rwandais ainsi que sur le récent communiqué sorti par le même gouvernement, on remarque que si rien n’est fait, il y a risque d’une déflagration régionale.
Ce député à l’Assemblée nationale du Burundi appelle donc les pays en conflit à privilégier le dialogue et le respect des accords de paix signés. « Que les pays en désaccord puissent s’asseoir ensemble et dialoguer sans faux-fuyant sur toutes les questions à l’origine des malentendus. Ces pays doivent respecter les accords et traités en matière de paix et de sécurité signés. »
Et d’inviter chaque pays, chacun en ce qui le concerne, à veiller à ce qu’il ne soit pas à l’origine du conflit dans cette région.
Hamza Venant Burikukiye : « La présence des troupes burundaises à l’est de la RDC est justifiée »
Selon Hamza Venant Burikukiye, président de l’ONG Capes+, le fait que les troupes burundaises à l’est de la RDC soient sous la coordination de la SAMIDRC, mission de la SADC est normal. « Cela n’entrave en rien dans l’objet et la mission des troupes burundaises en RDC quels que soient la façon ou les Accords pour y aller. Certes, c’est une conjugaison d’efforts qui devrait être coordonnée par un seul organe, car l’objectif est commun ».
Il estime que la présence des troupes burundaises à l’est de la RDC pour combattre le M23 est bel et bien justifiée. Ce n’est pas seulement pour rétablir et maintenir la paix en RDC, mais également dans toute la sous-région, fait-il observer. « Quand la maison d’un voisin brûle, la prudence est de protéger la vôtre en apportant un secours au voisin pour éteindre le feu ».
Il serait donc tendancieux d’affirmer qu’il y a accélération de la crise dans la région des Grands Lacs. Il parle seulement des stratagèmes montés par une main invisible de certaines puissances. « Elles veulent piller les ressources minières des pays des Grands Lacs en commissionnant des aventures ambitieuses prétendant des causes sans fondement, mais plutôt haineux et divisionnistes. »
Hamza Venant Burikukiye appelle au strict respect des Chartes, Pactes et Conventions des Nations unies et surtout le principe du respect de la souveraineté des pays. « Il faut abolir à j’aimais la politique de la domination à caractère impérialiste, les deux poids deux mesures et l’hypocrisie internationale ».
Kefa Nibizi : « On doit être prudent lorsqu’on participe dans un tel conflit »
Selon Kefa Nibizi, président du Conseil pour la démocratie et le développement durable, Codebu, iragi rya Ndadaye, la déclaration de la présidence de la RDC comme quoi « l’Afrique du Sud et le Burundi sont parmi les pays contributeurs des troupes de la SAMIDRC » mérite des éclaircissements de la part du gouvernement burundais. Parce que, justifie-t-il, le Burundi participe dans le conflit de l’est de la RDC dans le cadre de la coopération bilatérale.
Pour lui, cela pourrait alors être une confusion de communication ou une nouvelle stratégie afin de mettre sur pied un commandement coordonné en vue de maximiser les chances de réussite sur le terrain. Car le commandement non coordonné dans un même conflit pourrait être inefficace. Toutefois, Nibizi indique qu’on doit être prudent lorsqu’on participe dans un tel conflit.
Par ailleurs, il signale que la voie militaire n’est pas une solution durable. « La voie militaire va étouffer des résistances, mais ne va pas trouver des solutions aux problèmes qui ont poussé à la résistance ». Et de s’interroger : « s’il advenait que la RDC, avec le soutien de tous ces intervenants régionaux, parvient à maîtriser la résistance du M23, ces intervenants vont-ils rester sur place pour pérenniser cette victoire acquise ? Et quand ils vont partir, il n’y aura pas résurgence de cette crise ? C’est certain. »
Quand il y a un mouvement de résistance interne et que les capacités internes de la maîtriser sont limitées, estime Nibizi, la voie politique négociée est la seule solution possible. Pour le cas de la RDC, « cette solution politique négociée va dans le sens de garantir la sécurité et la dignité de ces Rwandophones congolais, l’intégrité et l’inviolabilité du territoire congolais. »
Bien plus, avance le président du Codebu, l’intervention militaire des acteurs régionaux dans la crise congolaise ne devrait se faire que pour créer des conditions favorables au dialogue sincère.
D’après ce politique en effet, l’accélération de la crise dans la sous-région des Grands Lacs et le développement des discours va-t-en-guerre constituent un signe de manque de maturité politique et du sous-développement. « Du moment que les acteurs régionaux soutiennent les belligérants de la crise dans l’est de la RDC, cela crée un climat de méfiance entre ces acteurs. Je crois que la fermeture des frontières terrestres entre le Burundi et le Rwanda en est une manifestation très parlante. »
Or, s’inquiète-t-il, cela risque de conduire à l’expansion de la crise dans les pays de la sous-région notamment par le soutien aux groupes armés et pourquoi pas au changement de régime dans certains pays suite à leur implication dans cette crise qui secoue actuellement la RDC d’autant plus que c’est une crise aux intérêts diversifiés.
Aloys Baricako : « Intervenir dans un cadre bilatéral n’empêche pas de le faire dans un autre cadre »
Aloys Baricako, président du parti Ranac trouve que la réunion tripartite entre les présidents burundais, congolais et sud-africain pour étudier la mission de la SADC dans l’est de la RDC est à saluer. « Que le Burundi soit sur le sol congolais ou que les troupes burundaises soient dans la SAMIDRC dans cette autre composante armée qui doit intervenir en RDC, ne présente pas de problème. Un pays peut conclure une convention avec un autre dans un cadre bilatéral en matière de sécurité. Cela n’empêche pas ce pays d’intervenir dans un autre cadre ».
Il informe que même en Europe, les accords sur la sécurité sont conclus au niveau bilatéral ou multilatéral. Il rappelle l’accord en matière de défense et de sécurité conclu par l’Ukraine et l’Allemagne et celui avec la France dans un cadre bilatéral. « Les deux pays se trouvent dans l’Union européenne. Quand l’union décide d’envoyer des aides, les deux pays sont inclus. C’est la même chose pour le Burundi si c’est réglementé. »
Le président du Ranac fait savoir que l’important est que les procédures soient respectées. Il note notamment l’intervention du Parlement pour la validation de certaines conventions et traités.
Selon Aloys Baricako, la crise congolaise a commencé avec l’effondrement du régime Mobutu. La RDC était stable et unifiée, estime-t-il, mais avec son départ, il y a eu naissance de plusieurs rébellions. « D’où l’est de la RDC est instable. Cette partie est constituée de peuples venus d’ailleurs. Une partie était au Rwanda et une autre au Burundi avant la colonisation. »
Le président du Ranac prévient que c’est une question à traiter avec attention. Il propose une table ronde de négociation pour se convenir sur la stabilité de l’est de la RDC. « Il faut une solution négociée et politique. Sinon on peut trouver une solution militaire au M23, mais il y a les Wazalendo, les Maï-Maï et d’autres groupes. Il faut des négociations pour trouver une solution durable ».
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