By IWACU
Alors que les pays de la sous-région des Grands lacs font face à une détérioration de la situation sécuritaire et à la résurgence des tensions transfrontalières, les évêques catholiques membres du Comité permanent de l’ACEAC regroupant ceux du Burundi, de la RDC et du Rwanda, en ont exprimé leur inquiétude. Ils en appellent au dialogue.
« Arrêter les guerres ». Tel est le message de l’Eglise catholique dans la sous-région des Grands lacs depuis plus 25 ans. Consécutivement à cet engagement aussi moral que spirituel, les archevêques et évêques membres du Comité permanent de l’Association des Conférences épiscopales de l’Afrique centrale (ACEAC) se sont réunis à Ruhengeri (Rwanda) du 23 au 26 janvier 2024 en leur Session ordinaire. Au terme de cette session, ils ont sorti un communiqué de presse à travers lequel ils implorent le retour à la paix dans la sous-région. Dans la foulée, ces prélats ont adressé le 28 janvier 2024 un message d’exhortation aux habitants de la sous-région. Ils recommandent aux gouvernements et aux peuples concernés d’envisager toujours la voie du dialogue.
Appel à la construction des ponts entre les Etats
Au regard de la situation sociopolitique tendue entre les pays de la sous-région des Grands lacs, les prélats ont d’abord déploré les récents reculs diplomatiques entre le Burundi et le Rwanda. « Les évêques regrettent amèrement la détérioration des relations interétatiques entre nos pays », peut-on lire dans ledit communiqué signé le 26 janvier 2024.
Ces évêques représentant les trois pays se sont profondément inquiétés par rapport à « la vie et à la survie des ménages moyens ». Cela est surtout à la suite de « la mesure récente de la fermeture des frontières terrestres entre le Burundi et le Rwanda ». Ces prélats estiment que la mesure du gouvernement burundais de fermer ses frontières terrestres avec son voisin du Nord n’augure rien de bon. Elle replonge plutôt les populations de la sous-région, et surtout les ménages à revenus moyens, dans le gouffre de pauvreté déjà ressenti.
Au nom des évêques membres de l’Assemblée plénière de l’ACEAC, les présidents de cet organe ont ensuite publié une exhortation à l’endroit de tous les habitants de la sous-région des Grands lacs le dimanche 28 janvier.
Un message qui rappelle que « les crises récurrentes fragilisent le tissu social et menacent la cohésion ecclésiale et sociale à l’intérieur des pays et de plus en plus dans les relations interétatiques. ». La sous-région et même toute la région des Grands lacs en ont connu assez. « Les guerres civiles et les massacres se sont déjà étendus jusqu’à des actes de génocide », déplorent-ils. Une chose est sûre. Contrairement à une dialectique selon laquelle la guerre est inévitable dans une société politique, force est de reconnaître également que la guerre conduit le tirant au cercueil.
Face à cette montée croissante des conflits qui handicape la paix dans les pays de la sous-région des Grands lacs et à la résurgence des tensions transfrontalières, les prélats plaident pour « la construction des ponts plutôt que l’érection des murs entre les cœurs, entre les peuples et entre les nations ». Par ailleurs, considèrent-ils, la multiplication des initiatives de construction des ponts entre les peuples de la sous-région permettra d’unir leurs cœurs afin que la paix redevienne un rêve partagé ; le cœur de l’éducation des jeunes générations et le fondement même de la société, l’un des enjeux majeurs du débat politique.
Ils en appellent ainsi au « dialogue comme solution dans les crises qui affectent la sous-région et accompagnent par leur prière toute initiative susceptible de favoriser l’amélioration du vivre-ensemble ». C’est là où, en réalité, la logique démocratique peut transformer les sociétés en Etats-nations. Or, les derniers développements belliqueux dans cette région pourraient conduire à penser à un processus d’appropriation sociale de la guerre. Et une socialisation à la guerre n’est que le reflet d’une culture politique non démocratique.
Une autre chose à retenir dans ce message d’exhortation, c’est que les évêques catholiques de la sous-région estiment que, comme le déclarait déjà l’Assemblée plénière de Nairobi de 1999, « la paix est pour l’instant la première aspiration de toutes les populations de la région. Et une paix durable ne peut être effective que dans le dialogue entre les différents fils de chacun de ces pays. Ce dialogue doit viser une réconciliation sincère, fondée sur la justice et le pardon ».
Les prélats de la sous-région exhortent ainsi les populations de la zone à « quitter les groupes armés et à arrêter de tuer leurs frères ». Ils les appellent plutôt à « former la ‘’ Cité de la paix’’ bâtie sur l’acceptation mutuelle ; l’accueil des personnes en détresse et l’aménagement de la rencontre des cœurs en dépit des différences et des désaccords. » Ici, la juxtaposition des intérêts, dans un esprit coopératif, serait la seule dynamique possible pour arriver à bâtir cette « cité de la paix ».
La quête d’un nouvel ordre régional
Comme c’était prévu dans le communiqué de presse du 26 janvier, ces responsables de l’Eglise catholique du Burundi, de la République démocratique du Congo et du Rwanda ont célébré, le dimanche 28 janvier à Goma, une messe pour la paix dans la sous-région des Grands lacs.
Lors de son homélie, le cardinal Fridolin Ambongo, archevêque de Kinshasa a fait un constat sur la situation sécuritaire et l’attitude des dirigeants de la sous-région. « Nous assistons quotidiennement à des inégalités sociales, à l’indifférence face à la détresse des autres, à l’insécurité, à la misère, à la violence, aux tensions interétatiques, lorsque l’on n’évoque pas la guerre et l’égoïsme des dirigeants ». Il a également fait observer que le problème de la région, au-delà d’être un problème politique, il est aussi et surtout un problème économique.
Sur ce, « il est urgent de créer un nouvel espace et un autre temps », recommandent les évêques aux gouvernements des pays de la sous- région. C’est dans ce cadre que ces prélats ont alors adressé un message aux présidents de la sous-région : « reliés à la même terre notre maison commune ; obligés à partager le même espace ; veuillez-vous engager dans un véritable chemin de fraternité autour d’une communauté de valeurs et non des guerriers. Ne fermez pas les frontières, mais ouvrez-les en garantissant la sécurité des personnes, des biens et des territoires. Vous en êtes les premiers responsables. N’érigez pas les murs mais les ponts. La vie et le développement des milliers de personnes en dépendent aussi. » Au vu de ces recommandations, il est sans doute clair que le respect du principe de coexistence pacifique entre les Etats est une alternative permettant de sortir de cette situation où « l’Homme est devenu un loup pour l’Homme ».
Dans leur engagement afin de contribuer au rétablissement de bonnes relations entre les pays de la sous-région, l’ACEAC envisage de rencontrer les chefs d’Etat des trois pays. « Nous prévoyons rencontrer les présidents de ces pays pour leur dire que c’est assez, qu’il faut maintenant arrêter avec la guerre », a déclaré Mgr José Moko, président de l’ACEAC et évêque d’Idiofa lors d’une conférence de presse animée le samedi 27 janvier 2024 à Goma.
Dans les sociétés politiques contemporaines, l’intervention en faveur de la consolidation de la paix, d’une puissance morale de persuasion et d’action est incontournable devant l’urgence du problème.
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