By IWACU
11 ans après l’incendie du marché central, la nature a repris ses droits. Des arbres géants laissent penser à une grande forêt une au milieu du centre-ville. Plusieurs observateurs et acteurs déplorent la passivité et l’inaction du gouvernement.
Réalisé par Jérémie Misago et Stanislas Kaburungu
C’était un dimanche ordinaire, le 27 janvier 2013, mais le destin est déjà scellé : toute la ville de Bujumbura assiste impuissante à l’incendie de son marché central. Le cœur de la capitale est touché de plein fouet, des milliers d’autres saignent… Toujours. L’incendie de ce marché a été une catastrophe nationale : principal poumon économique, le marché permettait à tout le pays et même à ses voisins de s’approvisionner en biens et vivres.
Plusieurs personnes ont tout perdu et des milliers d’emplois liés aux différentes activités ont été également perdus. Ce jour, un cinquième du PIB national part en fumée, un des piliers de l’économie nationale vient de s’écrouler et le pays peine jusqu’à ce jour à remettre à flot cette infrastructure, une mamelle nourricière des caisses de l’Etat.
Pour le moment, la nature a repris ses droits, les herbes et les arbres ont poussé, quelques branches sont même visibles au-dessus de la toiture déformée, entamée par la rouille. De l’extérieur, des arbres géants sortent du toit du marché avec de grosses branches. Un passant avoue avoir peur de ce qui pourrait sortir de cet endroit condamné : « J’ai toujours un pressentiment qu’à un moment donné un fauve ou un gros serpent sorte de cette forêt et crée la panique ».
Jusqu’aujourd’hui, ce marché central n’est pas encore déblayé. Des déchets des marchandises parties en fumée sont toujours entassés. Des conséquences néfastes sur l’environnement et sur la santé des personnes œuvrant dans ses environs sont toujours à craindre. Des usagers des parkings des bus desservant les différents quartiers de Bujumbura craignent des maladies.
Devant l’entrée principale de l’ancien marché central de Bujumbura, une montagne de ferrailles prises par la police, arrachées aux pilleurs. Même la police n’a pas pu les faire rentrer à l’intérieur. Seuls les pilleurs ont osé pénétrer cette partie qui ressemble à une jungle en plein centre-ville.
Ce qui reste de ce joyau, ce sont des bureaux de la société de gestion du marché, SOGEMAC devenu un poste de police au centre-ville. Un poste qui sert de cachot pour certains fautifs ou irréguliers. C’est aussi un logement pour certaines personnes qui ratent les bus la nuit selon un chargé de sécurité des bus. « Les gens de Gatumba ou Ruziba qui manquent les bus la nuit paient une petite somme d’argent aux policiers et passent la nuit dans cette bâtisse ».
Un cauchemar, pour plusieurs commerçants ayant tout perdu, difficile pour eux de se remettre debout, une décennie de douleur. Reprendre tout à zéro n’a pas été facile, très peu réussiront à à se relever.
Selon des témoignages des anciens commerçants de l’ex-marché central de Bujumbura, aujourd’hui éparpillés aux quatre coins de la capitale économique, certains collègues complètement ruinés n’auront d’autres choix que de retourner au village, les mains vides, sur « la colline », d’autres mourront déprimés t. En une matinée, ils avaient tout perdu. Apollinaire Ndayisaba reste inconsolable. Il se rappelle le cauchemar du dimanche de l’incendie. Il a perdu les marchandises d’une valeur de plus de 50 millions de BIF. Ce qui est grave pour lui, il venait de réceptionner des marchandises d’une valeur de 20 millions le jour de l’incendie. Il lui a fallu 7 ans pour se remettre. « Mon cœur a failli s’arrêter. C’est désolant d’assister impuissamment à toute ta richesse qui part en fumée. Pire encore le gouvernement n’a rien fait pour venir en aide aux victimes ».
Un autre marché pour caser les anciens commerçants
Afin de venir au secours des commerçants sinistrés, le gouvernement a construit un nouveau marché à Ngagara dit « Cotebu », mais ce marché n’est jamais devenu rentable, il y a 10 ans car, émal construit. Et c’est au moment où des marchés et autres centres commerciaux des particuliers prospèrent.
Le processus de réinstallation de certains commerçants ayant quelques moyens au marché dit Cotebu à Ngagara sera long, la plupart se disent déçus : « Les clients ne se bousculent pas dans ce marché exigu et différents centres commerciaux comme des marchés privés et autres galeries construits après l’incendie du marché central de Bujumbura sont des concurrents de taille ».
Pour cet habitant, c’est fatigant pour la population du sud de la capitale qui se ravitaille au marché Cotebu : « Je suis obligée de payer deux bus à l’aller et au retour si je veux me ravitailler en vivre frais, le marché Cotebu, qui ne ressemble en rien à l’ancien marché central, est trop loin et coûteux pour nous qui habitons le sud », s’indigne-t-il.
Notre source regrette aussi le départ forcé des femmes qui vendaient les produits frais tout autour du marché : « Ces femmes nous facilitaient la tâche parce que je pouvais avoir des légumes frais, mais aussi des petits poissons, mais, sans le marché, qu’on laisse ces femmes nous livrer ce peu de produits nécessaires dont on a besoin quotidiennement ».
Selon Gabriel Kabura, toute une décennie sans marché central est une grosse perte pour les commerçants et leurs familles, mais beaucoup plus pour le pays. « Si on avait reconstruit ce marché dans l’immédiat, sûrement que le chômage et la pauvreté n’auraient pas atteint le niveau qu’ils ont aujourd’hui », regrette-t-il.
Ils appellent le gouvernement à se ressaisir, à se réveiller pour l’intérêt supérieur du pays au vu des taxes et du climat des affaires qu’une telle infrastructure génère : « Il faut se doter d’un grand centre commercial à l’emplacement stratégique de l’ancien marché central ».
Quid de sa réhabilitation ?
Dans la présentation du rapport semestriel des projets réalisés par le ministère des Infrastructures, de l’Équipement et des Logements sociaux, ce 31 janvier, le ministre Dieudonné Dukundane est revenu sur le dossier.
Il a fait savoir que dans l’optique de se conformer à la vision que le pays s’est fixé, le plan de construction du nouveau marché a été soumis au ministère.
À son tour, il a déjà envoyé le plan à sa hiérarchie.
Il interpelle les différentes banques qui avaient manifesté l’intérêt de réhabiliter le marché, les grands investisseurs, les commerçants et tous les autres Burundais désirant contribuer dans ce projet à investir massivement. Selon le ministre, le plan conçu est un plan d’un projet grandiose et inhabituel : « Nous comptons réunir les investisseurs privés parce que le souhait majeur du ministère est que ces derniers auront une place prépondérante dans ce projet, et après rien n’empêche que les travaux commencent », précise-t-il.
Retour sur les promesses du Gouvernement
Depuis l’année
2014, plusieurs engagements du gouvernement sont passés dans des annonces officielles arguant qu’un grand centre commercial pourrait être érigé à la place de l’ex-marché central de Bujumbura. Les choses ne se sont pas passées comme annoncé. La réhabilitation du marché central de Bujumbura a toujours fait parler de lui depuis 2014, sans résultats probants. Très attendu au niveau de l’opinion publique, ce dossier semble être une affaire permanente au Conseil des ministres. En octobre 2016, le gouvernement avait dévoilé un projet de construction d’un Mall à la place de l’ex-marché central de Bujumbura. « Si rien ne change, nous avons décidé au niveau du Conseil des ministres que les travaux commencent au cours de cette année », avait déclaré Jean Bosco Ntunzwenimana, ministre en charge des travaux publics et de l’équipement en 2017.
En 2018, le gouvernement qui n’avait pas trouvé d’investisseurs pour le projet de construction du Mall sera obligé de rabattre les cartes. « Après le constat qu’aucune offre n’a été réceptionnée à la date limite de dépôt des offres, il a été recommandé de sensibiliser les partenaires tant intérieurs qu’extérieurs pour les intéresser à ce projet », explique le communiqué du conseil des ministres du 19 septembre 2018.
Par la suite, c’est la société chinoise Jiangxi Jianglian International Engineering CO, LTD qui a été choisie. Malheureusement, la suite de ce dossier ne sera pas connue du grand public et tombera vite dans l’oubli.
Les raisons de la non-exécution de ce marché n’ont jamais été exprimées à l’endroit de l’opinion publique faisant de ce marché une affaire interne de l’Etat.
Le porte-parole du Gouvernement Prosper Ntahorwamiye avait fait remarquer qu’aucune offre n’a été réceptionnée dans les délais prévus par les termes de référence et que le gouvernement a décidé de sensibiliser ses partenaires pour les intéresser à ce projet.
Mi 2021 : le Conseil des ministres adopte la feuille de route et le mémorandum d’entente pour la construction d’un centre commercial digne des normes internationales de 5 niveaux avec un parking obligatoire pour 400 à 500 véhicules au sous-sol et en surface, des salles de conférences/concerts et expositions, etc.
La note de requête présentée au Gouvernement par l’Association des Banques et Établissements Financiers (ABEF) en décembre 2020 avait été analysée et agréée par le Conseil des ministres.
Le choix du projet et de la maquette était prévu au mois de novembre 2021. La réception des études y compris les études d’impact environnemental ainsi que le lancement d’appel d’offres pour la construction de ce centre commercial étaient prévus au mois de juin et juillet 2022. Aussi, la pose de la première pierre annoncée au mois d’avril 2023.
L’inauguration de ce centre commercial était prévue au mois d’avril 2026. Iwacu a essayé de joindre le représentant de l’association des banques et d’établissements financiers pour donner la lumière sur l’état d’avancement de ce processus, mais en vain.
Selon un expert urbaniste, le marché central de Bujumbura constituait une vitrine pour l’économie nationale et assurait la visibilité du pays. « À voir la position de plaque tournante qu’occupe notre pays, un tel marché s’il avait été reconstruit d’une façon moderne, non seulement aurait permis la modernisation de la ville de Bujumbura, mais également, aurait été un centre d’approvisionnement pour les pays de la sous-région », explique-t-il.
D’après lui, cela ferait entrer beaucoup de devises dans les caisses de l’Etat vu que le pays en a besoin. « Puisqu’il y aurait développement des activités économiques, cela favoriserait l’entrepreneuriat des jeunes et la création de l’emploi ».
Selon lui, il faut la reconstruction, mais il y a des conditions préalables. Il parle d’une étude de faisabilité. « Pour tout projet de grande envergure, il faut des études quantitatives et qualitatives. Il faudra peut-être montrer la forme du marché qu’on va reconstruire ». En plus, il suggère une étude d’impact environnemental pour que le projet soit efficace.
Jean Nduwimana : « l’Olucome souhaite une commission indépendante pour étudier les conséquences de l’incendie de ce marché »
Dans sa conférence de presse animée ce 26 janvier, l’Olucome demande une réhabilitation urgente de ce marché central de Bujumbura. Selon cet observatoire, il y a des sociétés qui ont demandé de réhabiliter le marché, dont la société Sino-Afrique et l’Association des Banques du Burundi, mais en vain.
Jean Nduwimana, porte-parole de l’Olucome s’étonne que cet incident n’ait pas laissé de leçons aux Burundais et plus particulièrement au gouvernement. Selon lui, aucune mesure n’a été prise pour protéger les autres marchés qui ont par après pris feu en cascade.
Il regrette que beaucoup de marchés aient été construits sans laisser d’allées pour les véhicules pour les pompiers et ne disposent pas d’accessoires anti-incendie comme les extincteurs. Ce n’est pas tout, cet Observatoire de lutte contre la corruption et les malversations économiques fait remarquer qu’aucune politique de mobilisation envers les commerçants d’adhérer dans les sociétés d’assurance n’a été envisagée.
L’Olucome suggère également au gouvernement de mettre en place une commission indépendante pour étudier les conséquences de l’incendie sur l’ancien marché central de Bujumbura et voir comment indemniser les victimes.
Cet observatoire se dit inquiet et se demande pourquoi il n’y a pas eu d’enquêtes approfondies encore moins de poursuites judiciaires pour mettre en lumière les causes des incendies qui ont ravagé différents marchés au Burundi et identifier les auteurs de ces forfaits. « Si la justice n’intervient pas dans des cas pareils, la population se trouvera toujours avec des questionnements et il sera difficile pour l’appareil judiciaire d’inspirer confiance », déplore Jean Nduwimana.
Gaspard Kobako « sur les onze ans, le manque à gagner est effrayant »
Gaspard Kobako rappelle que le 27 janvier 2013, l’un des marchés les plus modernes d’Afrique a pris feu dans un incendie causant un véritable cataclysme. « Avec les rentrées qui avoisinaient autour de dix millions par jour en les ramenant sur les onze ans, le manque à gagner est effrayant. Il aurait contribué à résorber la pauvreté de la population burundaise qui ne dit pas son nom ».
Le préside de l’AND-Intadohoka déplore que les plus cyniques aient osé déclarer que c’était la volonté de Dieu qui a été accomplie. « Outre que les circonstances de cet incendie n’ont pas été bien élucidées jusqu’à présent, il est fort regrettable que 11 ans après, ce marché n’ait pas été reconstruit malgré les promesses alléchantes des autorités jusqu’au sommet de l’Etat ».
L’on se souviendra, dit-il, que l’ancien porte-parole du Gouvernement avait déclaré, au terme d’un Conseil des ministres, que le marché allait être reconstruit. En plus, il promettait sa rénovation pour comporter un parking et des constructions en hauteur. « Le parti s’interroge si l’argent pour accomplir cette reconstruction a été budgétisé, a été détourné ou s’il a manqué de compétiteurs pour l’attribution du marché ou, simplement, s’il y a d’autres priorités que sa reconstruction ».
Pour lui, le marché se trouve en plein cœur de la capitale économique et servant aujourd’hui d’accueil d’immondices et des détritus de toute sorte. L’ancien, marché de Bujumbura, offre, dit-il, une image triste du centre-ville où se croisent les différents habitants.
Construit en 1994 sur une superficie de presque pour un montant de 1,5 milliard de BIF de l’époque, le marché central de Bujumbura comptait plus de 7 mille commerçants. Avec 2092 stands officiellement connus, cette infrastructure en avait plus de 3.000 quand il a pris feu. Tout cela pour montrer l’importance de ce marché dans la vie du pays. Il y a même des estimations que ce marché central représentait un cinquième de l’économie nationale.Dimanche 27 janvier 2013, une date à marquer d’une pierre noire pour les commerçants qui avaient des stands au marché central de Bujumbura consumé par le feu. Cet incendie a laissé les cœurs de plus de 7.000 commerçants dévastés, meurtris par la perte de tous leurs biens.Après la construction du marché central de Bujumbura en 1994, sa gestion sera confiée à la Société de Gestion du Marché Central de Bujumbura (SOGEMAC) pour une durée déterminée de 30 ans. Avec plus de 3.000 stands actifs officiels et près de 7.000 commerçants, le marché central s’avère être un des piliers de l’économie nationale. Ce dimanche du 27 janvier 2013, tout bascule, un cauchemar. L’espoir de toute une nation est ravalé.
Contre toute attente, un feu cyclopéen ravage le marché central de Bujumbura. Selon la version officielle, l’incendie s’est déclaré vers 6 heures et demie au quartier IV dans un stand contenant des habits et du matériel électronique (Télévisions et DVD).
Il va falloir de longues heures avant l’intervention des camions anti-incendie, les sapeurs-pompiers arrivent à 8 heures du matin, soit 2 heures après le départ du premier foyer d’incendie et ce sera un remue-ménage général, ce qui ne facilite pas leur travail.
Malgré les efforts fournis, l’incendie ne sera pas maîtrisé, il s’en suivra des tentatives de sauvetage des quelques biens encore à l’abri des flammes. Le désordre s’installe. À 10 heures et demie, impossibilité de distinguer les commerçants des pilleurs, des cris alarmants, des sirènes retentissent dans tous les coins : la désolation. Les sapeurs-pompiers se tournent vers les immeubles avoisinants le marché central pour éviter que ces derniers ne propagent autour.
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