By IWACU
Les partis politiques de l’opposition dénoncent une intolérance politique qui s’observe depuis le mois de décembre 2023. Arrestations, emprisonnements, intimidations, passages à tabac, destruction des permanences, … Tel est le vécu quotidien de certains membres des partis politiques de l’opposition. Parfois, ce sont les jeunes Imbonerakure qui sont pointés du doigt. Ils dénoncent l’exclusion des partis de l’opposition dans les affaires de l’Etat.
Dans une correspondance sortie le 17 janvier 2024 adressée au Congrès national pour la liberté (CNL), le ministère de l’Intérieur, du Développement communautaire et de la Sécurité publique, Martin Niteretse, accuse ce parti de se coaliser et de s’associer avec les organisations terroristes.
Dans cette lettre, le ministre Niteretse rappelle qu’en date du 2 janvier 2024, l’honorable Léonce Ngendakumana qui se réclame émissaire d’une organisation de fait dénommée « Cadre d’actions pour la Réhabilitation de l’Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi », a envoyé une correspondance aux chefs d’Etat des pays de la Communauté de l’Afrique de l’Est, à certains autres pays ainsi qu’aux représentants de certaines organisations internationales et africaines. « Il a joint à cette correspondance un document à la fin duquel il dresse une « liste des forces politiques engagées dans le Cadre d’action pour la réhabilitation de l’Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi », parmi lesquelles figure le parti CNL ».
Et d’ajouter : « Le parti CNL et sa représentation légale doivent répondre des conséquences qui découlent de cette coalition ou association avec les terroristes regroupés au sein de cette organisation illégale conformément à la loi ».
Sur son compte X, le parti d’Agathon Rwasa n’a pas tardé à répondre au ministre Niteretse : « Suite aux accusations gratuites du Mininter faisant état d’une coalition entre le parti CNL et les organisations terroristes, le parti CNL informe l’opinion tant nationale qu’internationale qu’il ne s’est jamais coalisé et ne se coalisera jamais avec toute organisation terroriste. »
Pour le CNL, c’est une preuve de plus qui démontre l’intolérance politique qui prévaut dans le pays. Pour rappel, le parti CNL et le ministère de l’Intérieur entretiennent des relations tendues depuis plusieurs mois. Toutes les activités du CNL ont été en effet suspendues sur toute l’étendue du territoire national.
Des emprisonnements et passages à tabac à Ngozi et Gitega
« Auparavant, le parti CNL avait une Permanence dans la ville de Ngozi, mais le propriétaire de la maison nous a dit qu’il en a besoin. Nous avons alors loué une autre maison. Nous avons informé l’administration », raconte un des responsables du parti CNL à Ngozi.
Par après, poursuit-il, nous sommes allés y ériger un drapeau du parti. « Le Chef de zone a alors appelé la police et l’activité a été suspendue. Le responsable du parti a été amené au commissariat de police, mais ils se sont rendus compte que le parti avait informé l’administration. Ils ont dit d’aller vaquer à nos activités. »
D’après ce responsable du CNL, ils ont par après érigé une pancarte devant la nouvelle permanence afin d’y dessiner les symboles de leur formation politique. « Le samedi 23 décembre 2023, nous avons constaté que la pancarte n’était plus là. Ce jour même, trois dames étaient en train de faire le ménage dans cette nouvelle permanence. Le commissaire communal de la Police est venu les arrêter. Il y avait également trois autres personnes qui revenaient de la messe et qui étaient en train de saluer les dames. Elles ont été également appréhendées. » Six membres du CNL donc arrêtés. Les responsables provinciaux du CNL ont essayé d’expliquer la situation, en vain.
Ce même jour, six autres membres du CNL de la zone Rukeco, commune Busiga de la même province de Ngozi ont été appréhendés par la Police. « Ils étaient tout près de la Permanence. Ils étaient dans une réunion de leur SILC (Saving Internal Loaning Community) », raconte un militant du CNL de la zone Rukeco.
Selon les responsables du parti CNL à Ngozi, ils ont approché la CNIDH (Commission nationale indépendante des droits de l’Homme) au niveau provincial et national, mais rien n’y fit.
Le 28 décembre 2023, les douze membres du parti CNL ont été transférés à la prison de Ngozi. « Avant, ils étaient accusés de tenir une réunion illégale. Par après, la charge a changé pour devenir rébellion », confie un des responsables provinciaux du CNL. Et d’ajouter : « L’officier de Police judiciaire qui avait le dossier disait que le dossier est compliqué et qu’il attendait des ordres d’en haut. Même les magistrats avaient peur du dossier. »
Le parti CNL demande la libération de ses membres arrêtés. Il exhorte le ministère de l’Intérieur et celui de la Justice de traiter les citoyens sur un même pied d’égalité quant à la jouissance de leurs droits et libertés.
Les responsables du CNL indiquent que sur les collines, ils s’observent des intimidations pour que les militants du CNL adhèrent au CNDD-FDD. « Sinon, les cas de violations physiques ont diminué ces derniers jours. »
Le gouverneur de la province de Ngozi est pointé du doigt. « A Ngozi, les libertés politiques ne sont pas respectées. Mais la situation a commencé à se détériorer avec la nomination du nouveau gouverneur. Il fait preuve d’un excès de zèle », confie un militant du CNL. « Le constat est que l’administration de Ngozi collabore étroitement avec le groupe dissident du parti CNL », renchérit un autre Inyankamugayo (militant du CNL).
Contacté à ce sujet, le gouverneur de la province de Ngozi n’a pas voulu nous répondre.
Gitega n’est pas non plus épargnée. Le 4 janvier 2024, le secrétaire national chargé de la sécurité, de la communication et des relations extérieures au sein du parti CNL, Providence Ntirampeba a par exemple été arrêté à son service au bureau de l’ONG Jica qui œuvre en commune Gitega de la province de Gitega par des agents du Service national des renseignements (SNR). Toutefois, il a été relâché dans la soirée du même jour.
Sur la colline Bwoga de la même commune Gitega, un militant du CNL- Inyankamugayo, Pascal Ndereyimana, un élu collinaire de Bwoga, a été tabassé le 25 décembre 2023. Selon les témoins, il rentrait chez lui. Les militants du CNL accusent les Imbonerakure. « C’est dommage que les Imbonerakure bénéficient d’une impunité totale. La justice devait sévir. »
Des Permanences du CNL saccagées ou détruites
Le parti CNL déplore la destruction de leurs Permanences. Selon ce principal parti de l’opposition, des inconnus ont effacé, pendant la nuit du 19 au 20 décembre 2023, les écrits se trouvant sur la Permanence du parti CNL sur la colline Camazi en province de Cankuzo. « Le 16 décembre 2023, les Inyankamugayo de la zone Camazi venaient d’effectuer des activités de nettoyage de la Permanence. »
Dans la nuit du 17 décembre 2023, d’après le CNL, la Permanence du parti CNL sur la colline Ruringe de la commune Muhuta en province de Rumonge a été détruite et des moutons volés. « Ces cas se multiplient en ce moment, avec une violence proche de la criminalité. Ces faits criminels devraient interpeller le pouvoir. »
Selon le CNL, des Imbonerakure seraient auteurs de cet acte accompagné d’un vol de moutons appartenant à une femme Inyankamugayo.
Le 7 décembre 2023, le parti d’Agathon Rwasa déplore la destruction des Permanences de Mugutu et Rutegama de la commune Gitega en province de Gitega ; l’arrachage des drapeaux du CNL à Mpanda en province de Bubanza.
Réactions
Simon Bizimungu : « Les détenus issus du CNL sont évalués à des centaines. »
Le secrétaire général du CNL affirme que plusieurs militants Inyankamugayo sont en prison. « En plus de ceux qui sont emprisonnés depuis plusieurs années, d’autres se sont ajoutés en décembre 2023. Les détenus membres du CNL sont évalués à des centaines. »
D’après Simon Bizimungu, les cas d’intolérance politique sont légion. « Commençons d’abord par la lettre du ministre de l’Intérieur où il accuse le parti CNL et sa direction de collaborer avec des groupes terroristes. Il ne faut pas oublier les décisions dictatoriales que ce ministre a prises à l’encontre du CNL en l’empêchant de travailler. N’oubliez pas aussi les discours prononcés par le secrétaire général du CNDD-FDD, Révérien Ndikuriyo, dans ses déplacements à l’intérieur du pays qui visent à dénigrer le parti CNL et ses dirigeants ! »
Le secrétaire général du CNL parle aussi des Permanences du parti qui sont souvent détruites ; des Inyankamugayo qui sont persécutés à cause de leurs idées politiques ; de l’exclusion des membres des autres partis dans les affaires de l’Etat. « Dans des réunions, certains dirigeants du parti au pouvoir prononcent des discours incitant à la haine envers les opposants. Le cas le plus récent s’est passé dans la commune Kiremba de la province de Ngozi. Le chef des Imbonerakure dans la nouvelle province Butanyerera a organisé une réunion, le 20 janvier 2024, où il a invité les Imbonerakure à surveiller les maisons des militants du CNL arguant qu’ils hébergent des combattants du mouvement Red-Tabara. Il a cité les noms des responsables de notre parti tout en indiquant qu’ils seront les premiers à être arrêtés ou même tués. »
Kefa Nibizi : « Ce sont les élections inclusives, libres et transparentes qui produiront des autorités capables de conduire le pays vers la vision 2040-2060 »
« Il semble difficile de faire une appréciation de l’intolérance politique sur le terrain d’autant plus que, pour le moment, le terrain politique est monopolisé par le parti au pouvoir. Les autres partis ne participent pas activement sur le terrain soit pour des raisons politiques, soit pour des raisons stratégiques ou pour des raisons de suspension comme c’est le cas du CNL », indique Kefa Nibizi, président du parti Codebu « Iragi rya Ndadaye ».
Certes, poursuit-il, quand les partis politiques de l’opposition essaient d’aller sur le terrain, on observe des cas d’intolérance politique. « Les administrateurs et autres autorités à la base malmènent les activités des autres partis politiques. Au niveau collinaire, les autorités ne comprennent pas que les autres partis politiques ont le droit d’organiser des réunions comme le fait le parti au pouvoir. »
Un autre indicateur de l’intolérance politique, d’après M. Nibizi, ce sont des cas d’intimidation orchestrés par les jeunes militants du parti au pouvoir. « On peut donner l’exemple de la récente violation de domicile de l’honorable Fabien Banciryanino à Ngagara ; des danses et des chants devant la Permanence du CNL à Mutanga-Nord ; des Permanences des autres partis politiques qui sont détruites ou endommagées. »
Comme autre indicateur, Kefa Nibizi parle des discours prononcés par certains dirigeants du parti CNDD-FDD ou des chants des Imbonerakure qui sonnent comme des menaces ou des intimidations.
Selon Kefa Nibizi, un autre cas d’intolérance politique est la suspension du parti CNL pour cause de petits problèmes internes. « Vous savez que le CNL est le principal parti de l’opposition qui est considéré comme une pièce de rechange vis-à-vis du parti au pouvoir. Sa suspension semble être injustifiée. On aurait dû le laisser continuer à gérer cette crise interne. »
Et de poursuivre : « L’acharnement injustifié et exagéré du ministre de l’Intérieur contre le Cadre d’actions pour la réhabilitation de l’Accord d’Arusha est une preuve de l’intolérance politique. » Il estime que la lettre du ministre Niteretse au CNL ainsi que le désistement en cascade de certains partis politiques qui n’étaient pas expressément cités dans la lettre illustrent qu’il y a un malaise ou une pression quelque part. « Il s’agit d’un musellement de l’espace politique. »
Le président du parti Codebu parle aussi de l’exclusion des partis politiques de l’opposition dans les postes techniques où on ne trouve plus quelqu’un qui n’est pas membre du parti au pouvoir. « Cela réduit la visibilité de ces partis politiques et crée un sentiment de peur de la part de la population qui voudrait adhérer dans ces partis. »
Il souligne que cela débouche sur une forme de privation des moyens de campagnes ou de fonctionnement des partis politiques. « Aujourd’hui, tous les hommes d’affaires sont obligés d’être membres du parti au pouvoir afin d’exercer librement. Les fonctionnaires qui ne sont pas du CNDD-FDD sont souvent harcelés voire intimidés par les chefs de service et certains sont contraints de cotiser en faveur du parti au pouvoir. »
Pour Kefa Nibizi, l’intolérance politique conduit aux élections exclusives. « Si réellement le président de la République garde l’ambition d’un pays émergeant en 2040 et d’un pays développé en 2060, il faut qu’il active l’arsenal politique afin qu’il y ait une ouverture de l’espace politique pour avoir des élections inclusives, libres et transparentes. C’est ce genre d’élections qui vont produire des autorités capables de conduire le pays vers cette vision. »
Iwacu a tenté de recueillir la réaction de la secrétaire nationale chargée de l’Information et de la Communication du parti CNDD-FDD en vain.
Les douze militants Inyankamugayo de Ngozi emprisonnés :
1) Josiane Manirambona
2) Issa Irabaruta
3) Alexandre Nsabiyumva
4) Sivina Manariyo
5) Gaspard Ngendakumana
6) Riziki Ntahonkiriye
7) Léonard Ndikumasabo
8) Denise Ndayikengurukiye
9) Raphaël Niyobuhungiro
10) Simon Misago
11) Donatien Bihute
12) Médiatrice Bizimana
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