By IWACU
Les cas de viols ne cessent d’augmenter dans le pays. Les provinces de Muramvya et Mwaro ne sont pas à l’abri. Les victimes dénoncent l’impunité des présumés auteurs ainsi que la lenteur dans le traitement des dossiers au niveau des juridictions. Les activistes engagés dans la prévention et la lutte contre les violences basées sur le genre réclament une justice indépendante et impartiale.
Le 12 décembre 2023, triste date pour Dania, une petite fille de 6 ans de la commune et province de Muramvya. Sa maman Darlène, vendeuse de charbon, raconte l’histoire. Sa voix sorte à peine à cause de l’émotion.
« Une de mes voisines est venue me chercher au marché pour me dire que Dania vient d’être violée et que l’homme a été attrapé en flagrant délit », raconte-t-elle. Sa fille a été abusée avec deux autres fillettes, dont une de 3 ans et une autre de 5 ans. « Le violeur est un homme de 46 ans et père de trois enfants », décrit la maman de Dania.
Le présumé violeur sera arrêté le lendemain, caché par les membres de sa famille, dans les champs. Malgré cela, la maman de Dania se dit lésée par la justice. « L’OPJ nous avait dit que le procès sera en flagrance, mais le dossier se trouve toujours au commissariat », se lamente-t-elle.
Elle dénonce la complicité des autorités administratives à la base et un des médecins de l’hôpital de Muramvya, qui ont tenté d’organiser des arrangements à l’amiable avec les familles des trois fillettes abusées. « Ce médecin avait même refusé de nous donner le rapport médical parce qu’on avait refusé d’accepter que l’affaire soit réglée à l’amiable », informe-t-elle.
Pour avoir ce document exigé par les officiers de la Police judiciaire, il a fallu l’intervention de l’administrateur de la commune Muramvya pour faire pression sur le médecin. « Nous avons déposé le rapport au commissariat. On ne l’a pas encore transféré au Parquet pour que le procès puisse avoir lieu ». Et d’ajouter. « Nous avons appelé le procureur pour lui demander les raisons de cette lenteur qui nous a demandé d’attendre parce que le juge qui avait le dossier a été muté ».
Malgré cette lenteur, la mère de Dania se dit prête à suivre cette affaire jusqu’au bout même si les autres parents décidaient d’abandonner.« Je ne peux pas accepter aucun arrangement à l’amiable. Mon souhait est que la justice soit faite pour ma fille », insiste-t-elle.
Au-delà de son engagement à chercher justice pour sa fille, cette mère, aujourd’hui la quarantaine, déplore les conséquences causées par cette agression sexuelle. « Sa santé mentale commence à m’inquiète. Elle a aussi des difficultés de marcher ». Elle révèle également que Dania a aussi arrêté l’école pendant un mois. Un moment de se rétablir des déchirures qu’elle avait eues.
Ce qui est aussi préoccupant, ce sont les mots lourds et quelques fois grossiers lancés par le père de Dania, surtout quand il est dans un état d’ébriété. « A chaque fois que je le trouve ivre au cabaret, je dois faire en sorte que Dania et ses frères dorment avant que leur père ne retourne à la maison », murmure-t-elle en sanglotant.
Des jugements qui ne rassurent pas les victimes
Avant de rencontrer Dania, l’équipe de reporters a passé par la zone Gatabo, de la commune Kiganda en province de Muramvya. C’était pour rencontrer Josiane, 17 ans, victime elle-aussi d’une agression sexuelle commise par un homme de 40 ans. « Il était avec un autre homme qui surveillait les personnes qui passent et l’avertir en cas de besoin », raconte-t-elle la mort dans l’âme.
Elle nous a accordés cet entretien en étant cachée dans la boutique de son père afin d’éviter une fois de plus d’être le sujet des ragots de ses voisins.
« La première chose qu’on a fait était de l’amener à l’hôpital. Et moi, je suis allé alerter pour que ces hommes ne s’échappent pas », fait savoir Sibo, le père de Josiane. Il dénonce aussi les autorités administratives à la base et certains employés de la prison de Muramvya qui ont tenté de mener des négociations pour que l’affaire soit réglée à l’amiable.
« Ils ont même essayé de relâcher ces hommes qui ont violé ma fille alors que le réquisitoire fait par le ministère public est de 15 ans de prison ferme et des dommages d’un million de BIF ». Et de s’inquiéter que l’un des bourreaux aurait des parentés qui pourraient s’ingérer dans cette affaire et influencer pour que cette dernière soit classée sans suite. Le risque d’évasion de ces criminels plane également avant que le verdict ne tombe.
Non-paiement des dommages et intérêts
Rencontrée accompagnée par sa mère, Chadia, 12 ans, a aussi été victime d’un viol en mai 2023. L’auteur de ce viol, selon sa mère, est un jeune de 17 ans du voisinage. L’histoire s’est passée sur la colline Gatara, dans la commune Nyabihanga de la province de Mwaro. La petite Chadia n’a pas cessé de pleurer durant tout l’entretien.
« On l’a trouvée dans une petite parcelle à quelques mètres de la maison. Elle était toute couverte de sang et elle tremblait beaucoup », raconte sa maman, avant de prendre un petit moment de silence pour retenir les larmes. Et de révéler que c’était la seconde fois que sa fille était violée. La première fois c’était à l’âge de 8 ans et c’est son oncle paternel qui l’a abusée.
« Pour cette deuxième fois, je me suis engagée à saisir la justice. Peut-être que celui-là l’a fait parce que le premier n’avait pas été traduit devant la justice », lâche-t-elle avec colère.
La petite Chadia sera hospitalisée pendant un mois et demi à l’hôpital de Kibumbu. Sa maman, toute seule, mènera la lutte pour que justice soit faite pour sa fille. « Le Collectif des associations et ONG féminines du Burundi (Cafob) m’a accompagnée durant tout le procès. Le jeune homme a été condamné à 10 ans de prison ferme avec une indemnisation d’un million ».
Un jugement qui n’a pas du tout plu la mère de Chadia et son assistance parce que, selon elle, ces indemnités ne seront payées qu’à la fin de la peine. « J’ai dû vendre mon champ pour payer la facture de l’hôpital. Mon mari m’a abandonné avec cinq enfants. Pourquoi attendre 10 ans pour être indemnisée ? », s’interroge-t-elle.
La problématique des preuves
« Les dossiers sur les violences sexuelles sont très délicats », fait remarquer une juge qui a requis l’anonymat. Elle révèle que parmi les défis rencontrés figure la problématique de réunir les preuves. « C’est vrai, on exige qu’une expertise médicale soit faite, mais il faut savoir que l’expertise ne lie pas le juge », précise-t-elle. Elle suggère que d’autres moyens de preuve soient faits tels que le test ADN et la vérification des empreintes digitales.
Quant aux lamentations des victimes sur des bourreaux qui sont relâchés avant de purger leur peine, la juge explique que les auteurs des viols ne bénéficient que d’une libération conditionnelle, s’ils ont manifesté un bon comportement. « Mais, il y a aussi cette politique de désengorger les prisons qui fait que les prisonniers bénéficient des libérations conditionnelles, y compris les prisonniers accusés de viols sexuels », souligne-t-elle avant de rappeler que ces prisonniers ne peuvent pas être graciés.
Les activistes du Cafob reviennent aussi sur la problématique des preuves. « Il y a des fois où les juges disent que l’expertise médicale présente des preuves non claires. D’autres juges rejettent carrément les données fournies par l’expertise médicale », révèle en effet Delphine Ndayizamba, juriste de la Cafob. Et de souligner qu’en 2023, le collectif a accueilli douze cas de viols et les dossiers y relatifs sont toujours pendants.
Banalisation du crime
Notre juge qui a requis l’anonymat regrette le comportement de certains juges qui banalisent toujours les violences sexuelles. « Beaucoup de formations sur le genre ont été menées, mais nous éprouvons des difficultés de les rentabiliser, à cause des mutations » fait-il observer.
La juriste Delphine Ndayizamba l’appuie en répétant aussi qu’il existe certains magistrats qui banalisent toujours les viols basés sur le genre.« L’avancement des dossiers des viols dépend alors de la sensibilité des magistrats ou du juge. Si le juge est très sensible, le dossier ne va même pas durer un mois. Mais, si tu tombes sur un juge moins sensible, le dossier va passer même plus de trois mois dans les juridictions », regrette-elle.
Et de recommander le renforcement des capacités des uns et des autres par des formations en matière de prévention et de lutte contre les VBG.
Des contradictions au niveau de la loi
« Nous accueillons en moyenne 100 cas de viols par mois, mais ceux qui continuent avec les procédures judiciaires sont au tour de 50 », fait savoir Marie Ange Kezimana, assistante juridique du centre Seruka. Elle confie qu’en 2022, le centre a enregistré 877 cas d’abus sexuels.
D’après cette assistante juridique, ce faible nombre de cas dans les juridictions est causé par soit des victimes qui décident de garder silence, par peur des représailles. Pour d’autres, leurs dossiers ont été classés sans suite à cause de la corruption. « Tout cela, ce sont des facteurs qui favorisent l’impunité des cas de viols parce que les victimes n’auront plus même le courage de dénoncer », regrette-t-elle.
De son côté, Jean de Dieu Ngendakumana, assistant juridique du Cafob, déplore les contradictions entre la loi spécifique sur les VBG et le Code pénal, qui selon lui, sont un autre tremplin pouvant faciliter l’impunité en matière des viols. « L’article 646 du Code pénal stipule que les lois particulières ne s’appliquent que si elles sont conformes qu’au code pénal. Or, il y a des sanctions prévues par la loi spécifique qui ne figurent pas dans le Code pénal », fait-il remarquer par exemple.
Il estime qu’il faut que ces deux lois soient harmonisées. « Il faut que cette loi spécifique sur les VBG soit amendée en précisant notamment que c’est la seule loi à appliquer ’en matière des VBG ». Il précise qu’en matière de sanctions, la loi spécifique de 2016 sur les VBG est plus sévère que le Code pénal.
Toutefois, ce juriste ne nie pas des changements positifs sont enregistrés depuis la mise en place des cellules spécialisées au niveau des juridictions et la loi spécifique sur les violences basées sur le genre.
Me Niyonizigiye revient, elle aussi, sur la contradiction entre le Code pénal et la loi spécifique sur les VBG. « La loi de 2016 relative aux violences basées sur le genre a été claire. Mais il y a des juges qui s’emploient à simplifier l’affaire ou à donner gain de cause aux auteurs présumés de viol ».
« Notre lutte reste toujours la même. Nous voulons une justice compétente, indépendante et partiale qui punit tous les auteurs des viols peu importe leurs identités ou leurs statuts sociaux ». Et de compléter la liste des facteurs favorisant l’impunité des cas de viols par le fait qu’il y a des auteurs qui sont relâchés avant de purger leur peine.
Saisir la justice le plus tôt possible
« Beaucoup de victimes gardent le silence face à leurs agresseurs de peur de subir des représailles ou de faire l’objet de honte pour leurs familles », regrette Claver Ngurube, conseiller socio-culturel du gouverneur de la province de Mwaro.
Il encourage les victimes à saisir la justice le plutôt possible. Il fait constater que beaucoup de cas restent ignorés, impunis parce qu’ils ne sont pas dénoncés. Et de déplorer que dans certains cas, cette impunité est favorisée par l’ignorance de la part de certaines victimes.
« On accueille souvent des filles mineures qui viennent réclamer le droit de paternité au lieu de dénoncer d’abord le viol subi » fait observer le conseiller avant de rappeler que tout acte sexuel avec une mineure, même avec son consentement, est un qualifié de viol.
Cette autorité provinciale ajoute à ces facteurs la distance qui sépare le lieu de résidence des victimes et les juridictions.
Pour les cas des victimes de la province de Mwaro, informe-t-il, toutes les audiences publiques se font à Muramvya faute de prison dans leur circonscription. « Nous profitons de l’occasion pour demander des soutiens des partenaires pour faciliter les déplacements des victimes », plaide-t-il.
M. Ngurube propose aussi qu’il y ait plus de sensibilisation surtout à l’endroit des victimes. Et de regretter que certaines autorités administratives profitent de cette ignorance, pour faciliter les arrangements à l’amiable.
Cependant, ce cadre du cabinet du bureau du gouverneur de la province de Mwaro salue l’instauration des cellules spécialisées, qui selon lui, ont fortement contribuer dans le traitement des dossiers sur les VBG.
Le chemin reste long
« Il existe certaines avancées en matière de prévention et de lutte contre les violences basées sur le genre », reconnaît Me Michela Niyonizigiye, expert et juriste engagée dans la lutte contre les VBG. Parmi les efforts déjà menés, énumère-t-elle, il y a la création du centre de prise en charge des victimes des VBG ; la création des cellules spécialisées sur les VBG installées dans tous les parquets et TGI ainsi que la classification particulière des dossiers des VBG. « Les VBG dans l’ensemble sont classées dans des fardes rouges au moment où les viols chez les mineurs sont classés dans des fardes oranges », informe-t-elle.
Cependant, fait-elle observer, le chemin dans la lutte contre les violences basées sur le genre reste long. Elle dénonce notamment des cas de corruption ; des arrangements à l’amiable ; des personnes qualifiées d’intouchables et placées donc au-dessus de la loi. Elle note qu’il existe aussi « des cas où des dénonciateurs sont arrêtés et emprisonnés. Ce qui favorise d’autres cas de violences sexuelles parce les victimes et leurs familles ont peur de les dénoncer. »
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