By IWACU
Dans une correspondance datée, mercredi 17 janvier, adressée à la représentation légale du CNL, le ministère de l’Intérieur, du Développement communautaire et de la Sécurité publique accuse ce principal parti d’opposition de « coalition et d’association avec les organisations terroristes ». Pour nombre de politiques interrogés, une sortie qui cache mal certaines velléités de verrouiller l’espace politique des échéances électorales de 2025 et 2027.
Réalisé par Abbas Mbazumutima, Hervé Mugisha, Renovat Ndabashinze, Pascal Ntakirutimana et Stanislas Kaburungu
Comme raison principale de cette « convocation » : la correspondance de l’Honorable Léonce Ngendakumana datée du 2 janvier envoyée aux Chefs d’Etat des pays de la Communauté de l’Afrique de l’Est et de certains autres pays ainsi qu’aux représentants de certaines organisations internationales et africaines.
Ainsi, à travers ladite correspondance, ce ténor du parti Sahwanya Frodebu, qui se réclame désormais émissaire d’une organisation de fait dénommée ’’Cadre d’Action pour la Réhabilitation de l’Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi’, sollicite l’implication de chacune de ces éminentes personnalités afin que soit réhabilité cet instrument qui a pu mettre à terme aux années de guerre entre Burundais. Pour lui, une étape qui permettrait la bonne tenue des élections de 2025. Une initiative qui n’a pas plu au ministère de tutelle. La cause : le fait que cet émissaire « ait joint à cette correspondance un document à la fin duquel il dresse une ’’liste de ces forces politiques engagées dans le cadre d’Action pour la réhabilitation de l’Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi’’, parmi lesquelles figure le parti CNL ».
Le CNL, sommé de s’expliquer
Visiblement irrité, à travers une correspondance datée du 17 janvier 2024, le ministère de l’Intérieur demande au parti d’Agathon Rwasa de se justifier. En effet, via sa lettre, le ministre Niteretse tient à souligner :« le parti CNL et sa représentation légale doivent répondre des conséquences qui découlent de cette coalition ou association avec les terroristes regroupés au sein de cette organisation illégale conformément à la loi ». Avec les législatives de 2025 qui approchent à grands pas, une nouvelle loin de rassurer la classe politique burundaise. Mais aussi et surtout à cause du fait que le CNL ne soit pas en bons termes avec ledit ministère. Signalons que cette correspondance adressée à ce principal parti d’opposition tombe dans un contexte tendu. Toutes les activités du CNL ont été suspendues sur toute l’étendue du territoire national. Le ministre Martin Niteretse a enjoint à la représentation légale de cette formation politique de se réconcilier avec une dizaine de membres du bureau politique de ce parti. Ils sont aujourd’hui qualifiés par la représentation légale du CNL de ’’frondeurs’’.
Alors que le 10 janvier, via son compte X, le parti Sahwanya Frodebu, semblait saluer l’initiative de Léonce Ngendakumana. En témoigne, son tweet où il inscrit en faux contre les propos du journal en ligne Ikiriho, le qualifiant “d’électron libre ». Quelques jours plus tard, sur même son compte X, ledit parti prend ses distances avec l’honorable Léonce Ngendakumana : « Nous avons pris connaissance de sa lettre envoyée aux garants de l’Accord d’Arusha. Nous tenons à clarifier que toute correspondance dont nous ne sommes ni les concepteurs ni les signataires n’engage pas le parti ». Selon nos sources, un rétropédalage consécutif aux pressions du ministère de tutelle. « Aux dernières nouvelles, il se dit qu’il lui a été intimé de clarifier sa position à défaut de répondre devant la justice. Des menaces auxquelles aurait fini par céder le président du Sahwanya Frodebu », glisse l’une d’entre elles.
Réactions
Kefa Nibizi : « Le parti CNL n’a commis aucune infraction »
« Cette lettre du ministre de l’Iintérieur nous a étonnés et inquiétés. Son contenu et son objet sont flous. Est-ce qu’on a demandé au représentant légal du CNL de s’expliquer ? Est-il question d’un avertissement ou d’une mise en garde ? Est-ce qu’on lui demande de se retirer de ce cadre ? », réagit Kefa Nibizi, président du parti CODEBU.
Selon lui, cette lettre intervient au moment où le parti Sahwanya Frodebu vient de sortir un communiqué officiel ressemblant à une sorte de désistement. « Quand on voit qu’un des partis qui semblaient être impliqués dans ce cadre sortir une déclaration de désistement et qu’un autre, cité, reçoit des menaces, des questions se posent ».
Avant de poursuivre : « Est-ce qu’il n’y a pas eu beaucoup de pression qui ont été exercées sur le Frodebu et sur le CNL et qu’au niveau du Frodebu, on a obtempéré et qu’au CNL, il y a eu refus d’obéir ? »
D’après lui, cette lettre envoyée à Agathon Rwasa viserait à lui mettre plus de pression afin de l’amener à cesser de participer dans ce « Cadre d’action pour la réhabilitation de l’Accord d’Arusha ».
Une visée d’ordre politique aussi. En effet, explique-t-il, on approche les élections de 2025 et 2027 au moment où le principal parti d’opposition CNL a des difficultés internes et que d’ici peu les organes dirigeants terminent leur mandat.
Là, s’inquiète-t-il, on est en droit de se poser une question s’il n’y a pas un projet finalement d’orchestrer un changement de leadership au sein du parti CNL et qu’on croit qu’Agathon Rwasa risquerait de se présenter aux échéances électorales de 2025-2027 à travers cette plateforme qui pourrait se transformer en coalition politique.
Et par voie de conséquence, poursuit Nibizi, il y a toute une campagne d’intimidation de toutes les organisations pouvant, peut-être, lui donner l’accès à participer à ces élections.
« Si c’est le cas, ça serait très dommage. Sinon, j’ai l’impression que si les gens se mettent ensemble pour exprimer une idée de façon très officielle parce qu’on a adressé une lettre à tous les chefs d’Etats de la sous-région, donc c’est officiel, jusque-là, il n’y a pas de mal ».
D’après lui, seuls les destinataires de la lettre auraient rétorqué en disant qu’ils ont reçu cette lettre, mais l’organisation n’est pas reconnue ni dans aucun des pays membres de l’EAC ou de la sous-région. « Par voie de conséquence, on ne donne pas de suite. Mais, en tout cas, on ne devrait pas proférer des menaces ».
D’ailleurs, il signale que jusqu’à maintenant, mis à part le Red-Tabara déclaré ainsi par le gouvernement, la liste des organisations terroristes n’est pas exactement connue.
Et de trancher : « Jusque-là le parti CNL n’a commis aucune infraction dans ce sens. Parce qu’aucune des organisations signataires de cette lettre adressée aux Chefs d’Etats ne sont jamais déclarées comme organisation terroriste ».
Le président du parti Codebu appelle le gouvernement du Burundi à rectifier le tir en ce qui concerne la gestion de ce document. « Sinon, cela risque d’être perçu comme un harcèlement qui vise à bloquer certains membres de ce « Cadre d’action pour la réhabilitation de l’Accord d’Arusha ».
Gaspard Kobako : « Agathon Rwasa devrait prendre la menace au sérieux »
Pour le président de l’Alliance nationale pour la Démocratie, il ne fait aucun doute qu’à travers sa correspondance, le ministre de l’Intérieur tient à faire passer un message. « Les termes utilisés sont on ne peut plus dures. En accusant ouvertement le CNL d’Agathon d’avoir adhéré à des mouvements terroristes. C’est comme s’il le met devant un fait accompli. Par-dessus tout, devra assumer les conséquences qui en découleraient ».
Il conseille Agathon Rwasa de réagir rapidement. « On approche des élections de 2025, normal que les esprits commencent à surchauffer ». Toutefois, des préludes d’une fièvre électorale, si l’on n’y prend pas bien garde peuvent tourner au vinaigre. « Si Léonce Ngendakumana a assumé ce qu’il a fait et dit parce qu’il parle de l’Accord d’Arusha. A l’époque, les CNDD-FDD, les PALIPEHUTU-FNL, etc. Étaient appelés des terroristes tribalo-génocidaires, et pourtant, cela ne nous a pas empêché de cohabiter ». A l’approche des enjeux électoraux, il estime que le gouvernement devrait prôner un climat de compétition saine. « Et non pas, faire peur aux compétiteurs afin qu’ils jettent l’éponge ».
Olivier Nkurunziza : « On n’est ni concepteur ni signataire de la correspondance »
« Le parti Uprona a pris connaissance à travers les réseaux sociaux d’une correspondance signée par l’Hon. Léonce Ngendakumana et adressée aux garants et amis de l’Accord d’Arusha pour la Paix et la Réconciliation au Burundi », fait savoir ce parti dans son communiqué.
Cette correspondance, poursuit le communiqué signé Olivier Nkurunziza, laisse croire que le parti Uprona serait concepteur et signataire de cette lettre.
« Le parti Uprona tient à informer l’opinion nationale et internationale qu’il n’est ni concepteur ni signataire de la correspondance susmentionnée et rappelle qu’il poursuit le processus de rassemblement de tous les Badasigana et invite par ailleurs toute personne qui se réclamerait de ’’l’UPRONA de l’Opposition’’ à rejoindre le processus de rassemblement en cours », fait-il savoir.
Dans son communiqué, le parti Uprona se dit rester attaché aux idéaux du Prince Louis Rwagasore et réaffirme son attachement à l’Accord d’Arusha Pour la Paix et la Réconciliation au Burundi.
Trois questions à Agathon Rwasa
« Dénoncer les dérives, ce n’est pas du terrorisme »
Après la correspondance du ministre de l’Intérieur accusant le CNL de s’être associé à une organisation terroriste pour avoir été membre du « Cadre d’action pour la réhabilitation de l’Accord d’Arusha’’, qui demande l’intervention des garants de cet accord, le président de ce parti rejette tout en bloc.
Avec ces nouveaux développements, il n’y a pas à craindre le pire ?
C’est grave comme accusation, mais c’est normal pour un gouvernement de la nature du régime burundais. Cette correspondance du ministre de l’Intérieur cache mal sa volonté délibérée de nuire au CNL et à moi-même parce que si un message a été adressé aux garants de l’Accord d’Arusha pour la Paix et la Réconciliation au Burundi avec copie pour information aux chefs d’Etat de la sous-région, comment est-ce que le ministre change de sujet et prétend que la lettre a été envoyée aux Chefs de l’Etat de la sous-région ?
Autre chose, comment est-ce que le ministre de l’Intérieur peut prétendre qu’il s’agit d’une organisation terroriste parce qu’il était question d’alerter l’opinion internationale et les garants de l’Accord d’Arusha ? Un pacte scellé entre les Burundais pour mettre fin à un conflit qui avait fait couler beaucoup de sang parce au vu de l’exclusion des uns par les autres avec tout un cortège de malheurs qui s’en suivait.
C’est quoi l’esprit de ce « Cadre d’action pour la réhabilitation de l’Accord d’Arusha » ?
Sa raison d’être, c’est pour demander aux différents acteurs de saisir la balle au bond et chercher à ce que le Burundi ne sombre pas encore dans des violences du fait de la discrimination, de la mauvaise gouvernance qui s’installe de plus en plus au Burundi.
Est-ce que c’est cela le terrorisme ? Ou le ministre de l’Intérieur veut-il accuser la Communauté internationale, les garants de l’Accord d’Arusha et les chefs d’Etat des pays de la sous-région copiés d’être des soutiens aux terroristes ?
C’est aussi à se demander pourquoi il n’a pas copié ceux à qui la lettre a été adressée s’il était sûr que ceux à qui était adressé ce message n’en avaient nul droit.
Pour des sujets préoccupants d’une nation, chaque citoyen a le droit d’en dire quelque chose. Et ce n’est pas pour autant que l’on devient terroriste parce qu’on ne voit pas les choses dans le même angle que le pouvoir.
Est-ce que vous ne craignez pas une arrestation, une suspension de votre parti ?
Pour les mobiles qui sont derrière toutes ces tracasseries, c’est que le ministre de l’Intérieur, du Développement communautaire et de la Sécurité publique a une dent contre le CNL et moi-même.
Eclairage
« Pourquoi s’en prendre à la flèche alors que le tireur est là ? »
Sous anonymat, un politologue contacté fait remarquer qu’avec cette correspondance du ministère de l’Intérieur, c’est le deux poids deux mesures qui persiste. Quant aux réactions des partis UPRONA et rétropédalage du Sahwanya Frodebu, c’est une preuve qui montre à suffisance que nous n’avons pas de véritables partis politiques et avec de véritables leaders.
« Si l’on s’en tient aux signataires, il est difficile de dire quelle organisation qui est terroriste et celle qui ne l’est pas, surtout que jusqu’à maintenant aucun mouvement parmi ceux qui se sont engagés dans ce cadre de réhabilitation de l’Accord d’Arusha n’a jusqu’à présent été qualifié de « terroriste », analyse d’entrée de jeu, le politologue. Pour lui, le seul mouvement, jusqu’ici que le président de la République a qualifié de terroriste, c’est le Red-Tabara, d’autant plus qu’il a même déjà revendiqué des attaques. Sinon, note-t-il comment ces organisations pourraient être qualifiées de « terroristes » du moment qu’aucune de ces organisations n’a jamais mené une attaque terroriste ou posé un acte de quelconque de violence sur le territoire burundais.
Concernant la correspondance du ministre de l’Intérieur, le politologue déplore le deux poids deux mesures. « Léonce Ngendakumana a toujours défendu cette idée de la restauration de l’Accord d’Arusha. Il n’y a rien de terroriste là-dedans. »
Le hic, fait observer cet analyste, c’est cette façon du ministère de s’en prendre à la flèche alors que le tireur est là ? « Pourquoi écrire à Agathon Rwasa, alors qu’il y a Léonce Ngendakumana, l’auteur signataire de la lettre. Idem pour le parti UPRONA. Tous ceux-là n’ont pas été notifiés ».
A titre de rappel, ce politologue rappelle que la lettre de Léonce est sortie le 2 janvier 2024. « Le jour même, elle a été portée au public. Pourquoi alors attendre deux semaines pour mettre en garde Agathon Rwasa, en l’accusant de s’associer avec les organisations terroristes ? » Pour lui, une preuve qui montre à suffisance que lorsqu’il s’agit de trancher pour une affaire qui concerne le principal parti de l’opposition, c’est le deux poids deux mesures qui prévaut.
Traitement à deux vitesses
Cet analyste rappelle les descentes nocturnes du secrétaire du parti au pouvoir. « A plus d’une fois, on entend qu’il a organisé des rencontres nocturnes à 5h du matin, vêtu avec les jeunes de son parti, des uniformes semi-militaires. Qu’a-t-il dit le ministre ? Rien. Pourtant, ceci est interdit par la loi à commencer par la Constitution ». Et de se demander : « Comment une simple figuration du parti CNL sur la liste de signataires d’une correspondance plaidant la réhabilitation de l’Accord d’Arusha peut-elle être qualifiée d’une action terroriste ? »
Quant aux comportements des partis UPRONA et rétropédalage de Sahwanya Frodebu, se désolidarisant de Léonce Ngendakumana. Le politologue, les juge comme une preuve qui montre qu’au Burundi nous n’avons pas de véritables partis politiques et de véritables leaders. Puisque l’opposition ne peut jamais parler d’une seule voix. « Il ne fait aucun doute que certains de nos leaders agissent selon la volonté du parti au pouvoir. C’est comme une girouette qui tourne selon la direction du vent ».
Une manière d’agir à laquelle le politologue appréhende comme un traumatisme. « C’est visible qu’ils sont hantés par la prison, l’exil, les arrestations arbitraires, les comparutions répétitives auprès des instances judiciaires »
Face à cette peur latente, le politologue se demande quand ces leaders pourront être solidaires et affronter les épreuves ensemble. « S’ils ne sont pas solidaires pour défendre. Sur quoi pourront-ils s’accorder ? Est-ce que l’idée de défendre l’Accord d’Arusha est une idée terroriste de laquelle il faut se désolidariser ? Evidemment que non ! » Aussitôt de conclure : « Un vrai leader doit affronter les questions de l’heure, faire face à l’adversité. Plus que tout, défendre ses idéaux ».
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