By IWACU
Dans le Conseil des ministres du 13 décembre 2023, le gouvernement a adopté le projet de loi portant révision du budget de l’Etat 2023/2024. Les économistes approchés s’accordent à dire que la décision était prévisible. Toutefois, ils estiment que les recommandations émises n’ont pas fait objet d’une étude minutieuse. Pour certains, c’est même un signe d’une panique palpable au sommet de l’Etat.
Par Fabrice Manirakiza, Rénovat Ndabashinze et Pascal Ntakarutimana
« La préparation de la loi rectificative des finances intervient pour intégrer l’impact de la mesure de dépréciation de la monnaie nationale qui n’avait pas été prise en compte dans le budget initial en cours d’exécution », annonce le ministre des Finances, du Budget et de la Planification Economique lors du Conseil des ministres du 13 décembre 2023. D’après ce ministère, cette prise en compte concerne les dépenses à caractère inéluctable et obligatoire liées à la dette extérieure, les transferts des ambassades ainsi que les dépenses liées à la levée de la mesure du gel des annales au sein des institutions à statuts spéciaux. « Le projet de budget révisé 2023-2024 intervient à la veille de la première évaluation du Programme économique et financier conclu avec le Fonds Monétaire International. » Sur le plan économique, indique le ministère, la croissance économique est estimée à 3,0% en 2023 contre 1,8% en 2022. Elle est projetée à 4,3% en 2024.
Pour contenir le déficit budgétaire, le gouvernement burundais a introduit bon nombre de principes. Insuffisants selon plusieurs observateurs. Parmi ces nouvelles résolutions : l’introduction des nouvelles activités n’est pas permise, l’annulation des activités pour lesquelles les crédits dédiés aux constructions ou réhabilitations des infrastructures non encore engagés et dont les travaux n’ont pas encore démarré et envisager à les reprogrammer pour le budget 2024-2025, l’annulation des activités des troisième et quatrième trimestres prévues pour le fonctionnement de l’Office Burundais de l’Urbanisme, de l’habitat et de la Construction (OBUHA) de l’ Agence Routière du Burundi (ARB) sauf les salaires, pour consommer d’abord les montants se trouvant sur leurs comptes bancaires, l’annulation des activités du FONIC prévues pour le troisième et quatrième trimestre sauf les salaires, afin que le FONIC consomme d’abord le crédit se trouvant sur son compte bancaire, l’annulation des activités relatives à la commande publique dont le paiement se fait en devises étrangères et envisager de les reprogrammer pour 2024-2025.
Le projet de loi adopté moyennant des observations
Dans le but d’augmenter les recettes, le gouvernement exhorte l’Office burundais des recettes (OBR) à poursuivre la digitalisation, à renforcer le système de contrôle et de vérification et à renforcer le cadre légal.
Du coup, des recommandations vont tomber : « suspendre l’achat du matériel roulant sauf pour l’armée et la Police, le ministère de la Justice et 8 véhicules destinés aux écoles à internat. De plus, continue le ministère, maintenir le budget pour l’achat du logiciel de production des passeports. Pour ce qui est de la Cour suprême, la Cour Constitutionnelle et le Parquet général de la République, inscrire les frais (d’intendance ou de renseignement) au nom de l’institution au lieu de les personnaliser, ajuster le budget destiné aux boursiers de l’Etat à l’étranger pour tenir compte de la fluctuation de la monnaie burundaise, prévoir un budget pour le fonctionnement de l’unité de gestion du Projet saoudien pour la construction de l’Institut Polytechnique de Cibitoke,
Le Conseil des ministres propose de prévoir un budget pour augmenter les frais de fonctionnement à l’intérieur du pays pour le Centre National de Transfusion Sanguine « CNTS », augmenter la participation de l’Etat au capital social de la STNB pour l’avance de démarrage de la construction du port Sec de Kwala en Tanzanie.
Il a été également entre autres recommandé de maintenir le budget destiné à la construction du chemin de fer, accélérer le processus pour démarrage de la construction de la route RN9 (Bujumbura-Bubanza), élaborer un plan d’utilisation par les ministères sectoriels des fonds non encore consommés par l’OBUHA, évaluer les avantages et les inconvénients du système des marchés groupés pour décider de continuer sur cette voie ou retourner aux méthodes classiques, retourner les budgets dédiés aux ministères ayant l’Education Nationale et la Santé publique dans leurs attributions qui avaient été transférés dans les autres structures pour gestion afin que ces deux ministères remplissent les critères exigés par les partenaires au développement pour l’éligibilité aux financements, instaurer et renforcer la bonne gouvernance surtout dans les ministères de souveraineté, notamment les ministères ayant respectivement la Justice, la Défense nationale, la Sécurité publique, les Affaires étrangères et les Finances dans leurs attributions, ne pas réduire le budget initialement prévu pour le ministère en charge de l’Education nationale …
Pour l’importation, le Conseil des ministres recommande de différencier les produits ordinaires des produits de luxe (vins, champagne, liqueurs, l’eau minérale importée, véhicules de luxe, etc.) en vue d’appliquer une taxe considérable à ces produits de luxe et réduire sensiblement la taxe appliquée sur le sucre importé afin d’encourager les importateurs de ce produit et de doubler la taxe appliquée au véhicule de luxe en cas de deuxième importation. Il faut aussi reprendre dans la loi budgétaire les sanctions prévues par la loi fiscale pour les conseillers fiscaux complices dans la fraude fiscale, lutter contre la fuite des capitaux, revoir le Code des marchés publics pour y introduire une clause exigeant aux soumissionnaires de montrer les projets qu’ils vont réaliser par l’argent gagné.
Réactions
Gabriel Rufyiri : « Prioriser les secteurs d’investissement »
Via son communiqué du 18 décembre 2023, l’Observatoire de lutte contre la corruption et malversations économiques dit être réjouit de la révision du budget général de l’Etat exercice 2023-2024.
« Pour l’OLUCOME, les principes pris lors des discussions budgétaires, les observations et recommandations émises lors de ce Conseil des ministres ne sont qu’un pas franchi », peut-on lire dans ledit communiqué.
Toutefois, cette organisation de la société civile considère que l’Etat devrait orienter son budget beaucoup plus dans des secteurs d’investissement que dans ceux de fonctionnement et/ou de consommation. Le Gouvernement devrait abandonner, estime l’OLUCOME, cette habitude des autorités où une seule autorité est accompagnée par un cortège de 30 véhicules de luxe qui consomment également du carburant dans un pays qui est classé par les institutions internationales crédibles comme un pays parmi les plus pauvres du monde.
Pour l’OLUCOME, cette révision de la loi budgétaire 2023-2024 devrait également se pencher sur la suppression des dépenses « inutiles ». A travers ce communiqué, et considérant, la situation économique actuelle au Burundi, l’OLUCOME a émis des recommandations.
Il a invité le gouvernement à investir dans des secteurs porteurs de croissance économique tels que le « développement des cultures industrielles (café, coton, thé, avocats, prunes du Japon,…) et le tourisme». Bien plus, d’après cette organisation, le gouvernement doit faire en sorte que la diaspora et les investissements directs étrangers contribuent à l’augmentation de la quantité des devises.
L’OLUCOME recommande en outre à ce que le gouvernement exige une déclaration des avoirs pour les membres du gouvernement avant et après leurs fonctions.
Enfin, il recommande au gouvernement de « voter le projet de loi portant révision du budget général de l’Etat 2023/2024 s’il est d’austérité et orienté vers les secteurs porteurs de croissance économique ».
Faustin Ndikumana : « Une bonne gestion des ressources budgétaires doit s’imposer »
Le directeur exécutif de la Parcem salue d’abord l’initiative du gouvernement de réviser la loi budgétaire 2023-2024, car pour lui depuis le début de l’exercice budgétaire des inquiétudes étaient observables. « Un déficit de 700 milliards de BIF qu’il fallait financer couplée à une attente de l’appui des bailleurs de fonds de plus de 900 milliards de BIF, alors que si on analyse le déblocage de ces appuis se fait attendre ». Selon lui, il y a 1600 milliards de recettes qui sont encore hypothétiques au niveau de la mobilisation. Pour cela, estime Faustin, le gouvernement devait revoir ses dépenses.
M. Ndikumana regrette que le gouvernement ait tendance à éliminer les dépenses liées à l’investissement alors que la dette va toujours crescendo. « Même au cours de ce premier trimestre, le gouvernement a contracté des dettes de plus de 110 milliards de BIF selon les rapports de la Banque centrale », dit-il.
Faustin Ndikumana constate également qu’il y a des dépenses douteuses, non transparentes et même dont le rendement est difficile à analyser. Pour le président de Parcem, la lutte contre la corruption, le détournement des deniers publics n’a pas encore sa force et sa rigueur aujourd’hui. D’où il faut revenir à la bonne gestion du peu de ressources budgétaires dont dispose le pays. « C’est notamment la continuation de la subvention des coopératives familiales », indique-t-il.
M. Ndikumana recommande que les dépenses et projets qui ne rapportent rien au niveau de la rentabilité doivent cesser et une étude de faisabilité scientifique doit être menée pour apprécier leur rendement.
La Parcem propose en outre une commission ad hoc des experts de haut niveau pour l’analyse du budget actuel des dépenses par rapport à l’orientation des politiques publiques, la rigueur et la discipline dans la gestion de l’orientation publique du budget.
D’après cette organisation de la société civile, le gouvernement burundais devrait revoir sa politique de mobilisation des ressources extérieures. « La situation du Burundi est difficile et on ne peut pas faire face à ces difficultés économiques même si on mobilise autant que faire ce peu les ressources des recettes fiscales et ces recettes fiscales sont en francs bu. Le franc bu n’est pas accepté à l’extérieur ». Quand bien même le gouvernement vient d’annuler certaines dépenses liées au paiement en devises, la Parcem estime qu’une mobilisation de financement extérieur est très fondamentale.
Faustin Ndikumana propose, enfin, une transparence dans la préparation du budget 2024-2025 pour qu’à l’horizon on commence à se préparer, pour ne plus sombrer dans l’incertitude et évoluer dans l’inconnu non planifié, mais opérer dans la consistance des récentes publications des résultats.
J.F. : « Il s’agit d’une réponse d’urgence, signe d’une panique palpable au sommet de l’Etat »
Pour J.F., économiste et entrepreneur burundais, cette décision était nécessaire, étant donnée la situation catastrophique du trésor public. « Le budget de l’exercice en cours a été élaboré sur base d’hypothèses, à mon avis, trop optimistes. Par exemple, les promesses d’appui faites par certains partenaires au développement, notamment le FMI, ont été considérées comme déjà acquises. »
D’après lui, les recommandations proposées semblent ne pas avoir fait l’objet d’un travail approfondi d’analyse et de sélection de mesures adéquates. « Il s’agit d’une réponse d’urgence, signe d’une panique palpable au sommet de l’État. Les appuis budgétaires sur lesquels le gouvernement avait compté ne sont pas là, et il faut à tout prix fermer les vannes et éviter un naufrage. Le problème, c’est que la fermeture des vannes risque d’accélérer la récession économique, dans laquelle le pays est déjà engagé. » De plus, poursuit-il, l’Etat étant le premier acteur économique du pays, s’il réduit drastiquement, aussi brutalement que prévu, ses commandes auprès des autres acteurs économiques, cela ne fera qu’aggraver la situation déjà catastrophique du pays.
Il ajoute : « Et là, je n’ai pas parlé du grave problème de la chute de la productivité, elle-même engendrée par la pénurie chronique de carburant et l’insuffisance de la production d’électricité. Rappelons que la pénurie de carburant n’est due à rien d’autre que la disparition progressive des réserves de change. » Il signale qu’à la mi-septembre, les réserves de change étaient équivalentes à deux semaines d’importation (source FMI).
« L’effondrement de la productivité est en train de nous précipiter vers une situation inédite dans l’histoire du Burundi, où par effet domino, l’Etat burundais risque de ne plus pouvoir honorer ses engagements, avant même le 3ème trimestre de cet exercice budgétaire. »
Une solution politique ?
J.F. se pose des questions : « Pourquoi sommes-nous dans cette situation ? », « Que faire dans l’immédiat pour en sortir ? » Pour lui, les seules mesures appropriées sont celles qui s’attaquent à ces deux questions, de manière frontale, sans faux-fuyant. « Nous devons avoir la sérénité de nous l’avouer : la raison de la débâcle actuelle est éminemment politique. Donc le cortège de mesures devant être mis en œuvre pour en sortir doit être de nature politique. »
Il affirme qu’il existe un énorme déficit de confiance, entre le gouvernement burundais et les protagonistes, aussi bien internes (citoyens, fonctionnaires, entreprises et investisseurs nationaux), qu’externes (partenaires au développement, entreprises et investisseurs internationaux). « Le meilleur indicateur de ce déficit de confiance, c’est le niveau prohibitif de la prime de risque exigée par les investisseurs et bailleurs de fonds, lorsqu’il s’agit de financer un projet se trouvant au Burundi. Ce problème a occupé la part belle des délibérations entreprises lors de l’Umuzinga Day, dernière édition. »
Comment restaurer la confiance ?
J.F. annonce des préalables : « Rassembler la nation burundaise. C’est la priorité des priorités. La nation burundaise est désunie. Les enfants du pays sont éparpillés aux quatre coins du monde. Certains croupissent dans des camps de réfugiés où ils vivent au jour le jour, dans l’attente de retrouver les leurs, un beau jour. Cette image n’est pas digne de notre belle nation. Cette image contredit ce qui fait de nous des Burundais : nos valeurs de l’Ubuntu. Nous ne pouvons pas être des partenaires dignes de ce nom, si nous ne réglons pas ce problème. »
Selon cet économiste et entrepreneur, le président de la République se trouve à un carrefour historique, où il doit décider, soit de maintenir cet état de fait, ou unir de nouveau la nation burundaise, autour de la vision « Burundi, pays émergent en 2040, pays développé en 2060 ». « Cela devra passer obligatoirement par un accord de paix avec ses frères et sœurs de l’opposition en exil. »
Une autre solution, d’après J.F., restructurer l’État burundais. « L’Etat burundais est en proie à des dysfonctionnements qui risquent de le faire imploser. Personne n’a intérêt à ce que ce beau pays devienne une zone de non-droit. Il faudrait que le gouvernement prenne ce risque au sérieux et entreprenne une restructuration de son organisation et de son fonctionnement, afin de garantir que les services publics soient rendus équitablement, efficacement et effectivement sur l’ensemble du territoire et à tous les Burundais, quelle que soit leur catégorie sociale. Comme nous partons de la dernière place au classement des pays par PIB, nous n’avons pas le choix. » Et d’ajouter : « Nous devons nous doter de l’Etat le plus performant qui soit, si notre ambition est de devenir un pays émergent d’ici 2040. Un Etat à la pointe de la performance, cela suppose des fonctionnaires performants dans les rôles qu’il faut, des processus de travail simples et efficaces et des outils technologiques appropriés. »
Toutefois, insiste-t-il, il faut veiller à ce que cette affectation des ressources se fasse dans le cadre d’un alignement stratégique parfait entre les aspirations et les besoins des citoyens, d’une part, et les fonctions et activités du gouvernement, d’autre part.
RENCONTRE
Dr Diomède Ninteretse : « Le Burundi se trouve dans une situation où il doit absolument coopérer et accepter de demander un crédit»
Professeur dans les sciences économiques, spécialisé dans le leadership et management des organisations, il revient sur la dernière révision budgétaire. Il formule aussi des propositions pour que le Burundi ressorte de la mauvaise situation économique actuelle.
Cette révision budgétaire était-elle nécessaire ? Pourquoi ?
C’est un exercice périodique. Chaque année, il y a une révision budgétaire. Peut-être qu’il faut d’abord comprendre pourquoi cet exercice. Quand par exemple vous avez surestimé ou sous-estimé les dépenses, et qu’au cours de la route, vous constatez qu’il faut absolument revoir soit à la baisse ou à la hausse. Pour le cas qui concerne la révision budgétaire de cette année, nous constatons effectivement que cette année, il y avait une surestimation du budget. Parce que c’était un budget très ambitieux qui ne tenait pas compte de la réalité.
Alors, je me dis que le gouvernement a décidé de revoir à la baisse certaines dépenses pour être en règle avec l’équilibre budgétaire. Je trouve que c’est un exercice simple sauf qu’aujourd’hui, normalement, la tendance de la révision budgétaire, c’est souvent de voir dans quel domaine vous avez oublié pour pouvoir raffiner davantage.
Votre constat ?
Malheureusement, on constate que la révision budgétaire actuelle ne tient pas compte de la réalité actuelle. On voit que cela ne va pas occasionner nécessairement un avantage comparatif.
Pour contenir le déficit budgétaire, le Conseil des ministres a émis plusieurs recommandations…
Pour moi, quand on analyse le budget, d’abord au cours de ce premier trimestre 2023-2024, le montant des recettes à une certaine contre-performance parce qu’on dit c’est 3,8% par rapport aux prévisions. Par contre, comparé avec le 1er trimestre de l’exercice 2022-2023, le 1er trimestre de cette année révèle une croissance effectivement de 18% à la fin de 2023.
L’exécution des dépenses se situe à 48% par rapport au plafond du 1er trimestre tandis que l’engagement des dépenses a atteint 94%. Donc, quand on analyse, 94% c’est déjà les engagements au moment où l’exécution budgétaire est à 48%. Donc, il va sans nul doute que c’est le bon moment de faire cette analyse, cette révision budgétaire.
Ces recommandations sont-elles suffisantes ?
Ce n’est pas suffisant parce que dans cette révision budgétaire, on ne voit pas un avantage comparatif en termes de la croissance économique. Parce que la révision budgétaire devait tenir compte, par exemple, du chômage qui est aujourd’hui à plus de 50%. On trouve qu’il y a eu aussi dépréciation de notre monnaie. Dans ce budget, on ne voit pas les mesures prises pour finalement valoriser la monnaie burundaise qui continue à se déprécier. Et surtout de l’inflation qui atteint plus de 30%, mais aussi de la malnutrition. On constate que vraiment, aujourd’hui, la révision budgétaire telle envisagée ne va rien apporter de la croissance économique.
D’ailleurs, si on analyse même le niveau, les attentes du don qui était estimé à plus de 900 milliards BIF, on voit que déjà, on n’a même eu plus de 100 milliards BIF. Donc, on constate que la révision budgétaire ne va pas apporter un avantage comparatif surtout que sur le plan économique, nous sommes dans une situation chaotique. Vraiment, l’économie se trouve dans une situation de panne. Il faut absolument encore une fois réviser même si on dit qu’il faut faire l’austérité du budget de l’Etat, ça ne va pas donner un avantage comparatif. Et l’économie ne va pas pourtant augmenter.
Quelles sont les autres réformes qu’il faut engager ?
Il faut d’abord comprendre où est ce que l’Etat peut tirer de l’argent ? Il y a cinq leviers essentiels au niveau de l’économie.
Lesquels ?
C’est notamment les importations. C’est là où l’Etat peut avoir des moyens quand il y a les importations. Là, il va prélever les impôts et taxes. Quand il y a l’exportation, c’est-à-dire que le Burundi peut envisager l’exportation de certains produits et services notamment pour le cas du Burundi c’est le café, le thé, les produits de la Brarudi, etc.
Le 3ème levier très important, c’est la stimulation à la consommation. Ce qui n’est pas aujourd’hui envisagé parce que les gens n’ont pas le pouvoir d’achat. Le 4ème c’est l’épargne. Les gens ne peuvent pas épargner parce qu’ils n’ont pas aussi le pouvoir d’achat. C’est difficile d’abord de joindre les deux bouts du mois. Par conséquent, l’épargne est difficile.
La dernière composante qui est très importante, c’est l’investissement. Alors aujourd’hui quand on analyse le budget, on voit que c’est le budget de consommation, de fonctionnement. Pour les salaires, les autres équipements. Or, quand il n’y a pas l’investissement, on ne peut pas envisager une croissance économique.
Ce budget tel qu’envisagé, on ne voit pas que la question de l’inflation est prise en compte pour l’année en cours. On ne trouve pas que la question du chômage est prise en compte. Idem pour la dépréciation de la monnaie.
D’ailleurs l’Etat a été au moins honnête en disant que jusqu’à présent, ils n’ont pas encore mobilisé aucun financement. Malheureusement, on ne voit pas une stratégie de financement au niveau extérieur. Alors, dans les conditions où nous nous retrouvons, peut-on dire que le gouvernement pourra être en mesure de faire fonctionner l’Etat s’il n’y a pas un appui budgétaire de la Communauté internationale ?
Mais, il y a les ressources internes…
C’est vrai. On peut compter sur les ressources internes, mais là ce sont notamment les impôts et taxes. Et quand les gens n’ont pas le pouvoir d’achat, d’ailleurs on voit déjà qu’on a reculé. Parce que par rapport aux prévisions, on constate que jusqu’à présent, ils n’ont pas encore recouvré l’argent.
S’il n’y a pas de mesures incitatives à la production, assainissement des relations socio-économiques, notamment avec les partenaires au développement, s’il n’y a pas l’amélioration de la gouvernance, on ne peut pas envisager le développement pour le moment. Et la situation continuera à se détériorer davantage au fur et à mesure.
Même dans les recommandations formulées, on voit qu’ils ont, même pour les investissements communaux, les activités de FONIC sont presque suspendues. Et ce sont des activités qui aidaient plus les collectivités.
Le Burundi se trouve dans une situation où il doit absolument coopérer et accepter de demander un crédit pour pouvoir finalement booster l’économie dans des secteurs porteurs, notamment l’agriculture, l’élevage, les minerais et le tourisme.
Il faut engager des réformes au niveau de la démocratie, l’espace public doit être ouvert à tout le monde, etc. Et les gens vont finalement avoir la confiance pour le pays. Parce que le crédit c’est toujours lié à la confiance. S’il n’y a pas de confiance au niveau du gouvernement, les bailleurs de fonds, les investisseurs étrangers ne vont pas venir investir au Burundi.
Certains préconisent le gel de certains voyages des autorités à l’intérieur et à l’extérieur. Pensez-vous que cela peut aider ?
En partie, cela peut aider, mais cela ne va pas résoudre le déficit qui est estimé à plus de 1000 milliards BIF. C’est beaucoup d’argent. Oui, bien sûr un bon leader doit montrer l’exemple à suivre. En plus des voyages excessifs pour le moment, le pouvoir devrait réduire sensiblement les fêtes et croisades inutiles, car ces sont des événements qui consomment un budget considérable. En effet, il suffit de regarder l’équipe qui accompagne le Président de la République, la logistique, les frais de mission, le carburant, et surtout le temps. Il y a lieu de s’interroger si toujours, il y a une valeur ajoutée.
Pour moi, il doit se poser la question suivante : Est-ce que ma visite est-elle nécessaire ? Est-ce que quelqu’un d’autre (mes conseillers, ministres, gouverneurs,) peuvent me représenter valablement, car leurs descentes coûtent moins chers ?
Ni moins ni plus il faut être efficace et efficient dans nos dépenses. C’est la théorie de rationalité. Il faut regrouper les voyages et les fêtes pour les grandes personnalités et institutions comme la présidence, l’Assemblée nationale, et autres. Servir de modèle.
La sortie d’un Chef d’Etat ou du Président de l’Assemblée nationale, Premier Ministre devrait être exceptionnelle
Ces autorités sont représentées de la colline, zone, provinces voire nationales avec des services déconcentrés dotés de moyens techniques, financiers et matériels pour l’atteinte des résultats assignés par le gouvernement. Ce dernier devrait s’assurer de la qualité de la mise en œuvre des services publics lors des missions de contrôle périodiques.
Les dons pour le premier trimestre égalent à 41.4 milliards de BIF alors que nous attendons 938.7 milliards de BIF au cours de cette année budgétaire. Donc, sur ¼ de la période, on a engrangé juste 4.4%. Comment expliquez-vous cette situation ?
Quand on pensait qu’on pouvait mobiliser plus de 900 milliards BIF, je crois que le gouvernement s’était trompé. Il n’y a pas de relations socio-économiques stables pour le moment. Il y a certaines conditions. Cela veut dire que le gouvernement devait encore une fois être sûr qu’il doit améliorer les conditions de vie des citoyens. Mais aussi ce qui est important, le message qu’il faut tirer c’est que la coopération internationale est au point mort. Il faut qu’il y ait encore une fois une certaine mobilisation dans ce sens. C’est de voir pourquoi effectivement par rapport aux attentes du gouvernement, cela n’a pas pu être fait.
C’est normal qu’on n’a pas pu mobiliser ces fonds parce qu’il y a encore l’espace public qu’on dit souvent verrouillé, il y a la mauvaise gestion qui a été identifiée lors de la visite de la délégation du FMI surtout par rapport au cadrage budgétaire, etc. Donc, je me dis que c’est le bon moment pour le gouvernement de voir qu’est ce qui a été à la base de cet échec.
Pour certains, l’Etat doit orienter beaucoup plus ses ressources vers les secteurs porteurs de croissance et non vers le fonctionnement. Qu’en pensez-vous ?
Le gouvernement est confronté à un problème réel de manque de moyens. Il a probablement l’ambition d’investir dans les domaines porteurs de croissance, mais quand on analyse la situation économique, pour investir il faut beaucoup de moyens. Puisque cela renvoie à la transformation de la matière première, la construction des routes, les infrastructures notamment les bâtiments, … On voit que maintenant il y a la crise des infrastructures publiques. C’est l’aménagement des bassins versants, etc. Tout cela demande beaucoup de moyens. Et à l’époque, c’est effectivement la coopération internationale, ces montants-là venaient dans les investissements. Aujourd’hui, le gouvernement fait juste pour qu’il y ait le minimum. C’est comme une famille. Pour qu’elle puisse construire une maison, elle doit contracter un crédit ou avoir des réserves. Maintenant que le gouvernement n’a pas de réserves, il n’a pas d’autres choix que juste payer les salaires. D’ailleurs, vous savez que même pour le faire, le gouvernement a dû contracter un crédit au niveau des banques commerciales, ils ont émis de bons de trésors au niveau de la BRB, et d’ailleurs, je crois que c’est une des grandes accusations. Ce que nous avons appelé l’effet de levier où le gouvernement demande de crédits au même titre que les privés, les individus.
C’est un problème des ressources. Et quand vous avez peu de ressources, vous n’avez qu’à faire les dépenses de fonctionnement, les dépenses courantes. Le gouvernement fait face à ce problème. Mais aussi je pense qu’il y ait le changement de mentalités. Sur les recommandations formulées, on constate que même certaines activités de route ont été suspendues d’une manière ou d’une autre, je vois que l’OBUHA et ARB sont appelés à revoir à la baisse les dépenses alors que certaines routes sont devenues impraticables. Exemple de Bujumbura-Rumonge. Et si on regarde d’autres routes, c’est impensable qu’on puisse encore fois couper le budget au niveau du secteur public notamment au niveau des infrastructures.
Si l’investissement est gelé, la vision 2040-2060 est-elle réalisable ?
C’est une vision. Mais au regard des actions en cours, on ne peut pas espérer beaucoup. Mais, j’estime qu’en 2040, il y a encore plus de 16 ans, c’est à long terme. Je pense que la situation socio-économique sera améliorée et que la coopération internationale bilatérale pourra reprendre et que peut-être, ce pays émergent de 2040 pourra exister. Il est encore tôt. Mais si la situation restait telle qu’elle est, notamment ce problème de financement interne, si le pouvoir d’achat de la population continue à se détériorer, si le chômage continue à l’allure actuelle, si la décroissance économique continue à s’observer, si la gouvernance continue à se détériorer, si les réfugiés ne sont pas rentrés, si le dialogue politique au niveau de la participation des citoyens n’est pas suivi, effectivement la vision de 2040 sera un rêve.
André Nikwigize : « En définitive, ce sont les pauvres qui financent la sauvegarde du train de vie des riches »
Pour l’économiste André Nikwigize, la révision du budget 2023/2024, telle que présentée, ne semble pas suffisante. Non seulement elle ne satisfait pas les objectifs convenus avec le FMI, mais, surtout, elle renforce encore davantage la pauvreté et la paupérisation de la population. Une commission indépendante devrait être mise en place pour une révision en profondeur de ce budget, en vue de l’adapter aux moyens disponibles et préserver les pauvres.
Quelles questions vous vous êtes posés lors de l’adoption du budget 2023/2024 en juin 2023 ?
Qu’est-ce qui justifierait une augmentation extraordinaire de 65% du budget 2023/2024, par rapport au budget de l’exercice précédent, dans un pays extrêmement pauvre et avec des ressources financières limitées ? Comment le Burundi, qui vient de s’engager, avec le FMI, dans un programme de réformes macroéconomiques, sur 38 mois, avec des objectifs précis, peut-il voter un budget qui laisse voir un déficit budgétaire de 700 milliards de BIF, c’est-à-dire, environ 18% du budget qui ne sera pas financé et qui va gonfler la dette intérieure ? Dans le même contexte du programme avec le FMI, comment envisager une augmentation de plus de 1.000 milliards de BIF de dette intérieure, alors que l’un des objectifs du programme est de réduire l’endettement public.
Quid de la Vision 2040-2060 ?
Si le gouvernement du Burundi prévoit d’arriver à un Burundi Emergent en 2040, pourquoi cette Vision n’apparait pas dans le budget 2023/2024, notamment, par l’allocation de budgets conséquents aux secteurs de l’agriculture, de l’industrie, des infrastructures et des technologies numériques ?
La révision du budget 2023/2024, que vient d’opérer le gouvernement, peut paraître comme une réponse aux trois questions soulevées ci-haut.
Vous avez donc des doutes ?
En analysant le nouveau budget révisé, j’ai encore trois préoccupations majeures. La première préoccupation est que le gouvernement devrait poursuivre les efforts, en vue de réduire encore davantage les dépenses publiques, qui pourraient être reportées à une date ultérieure.
Il y a beaucoup de dépenses non essentielles. A titre d’exemple : pourquoi une augmentation si importante (39%) du budget de la Présidence par rapport à l’année précédente, dans un contexte de crise économique.
Y a-t-il une justification à ce que les activités de la Première Dame émargent sur le budget de l’Etat, et pour des montants aussi importants ?
Un budget pour l’organisation des prières pour rendre grâce à Dieu, est-il justifié, au moment où des populations entières souffrent de la faim, des hausses de prix ? Des voyages à l’extérieur du pays sont-ils justifiés ? Des budgets faramineux confiés aux communes, sans passer par le contrôle de l’Administration Centrale, etc. Tous ces budgets non essentiels devraient être supprimés, sinon, reportés à des moments plus propices.
D’autres préoccupations ?
La deuxième préoccupation concerne le peu d’attention accordée, dans le budget, aux populations pauvres, aux fonctionnaires de l’Etat, aux militaires et policiers. Le carburant manque, les prix des denrées alimentaires augmentent, le sucre est devenu rare, le charbon de bois manque, le transport public, aussi bien en milieux urbains que ruraux, est devenu un casse-tête, à tel point que de nombreuses personnes n’ont d’autre choix que de marcher à pied, le courant électrique manque, jusque dans les morgues.
La situation sociale est devenue intenable, et les autorités politiques ne semblent pas s’en préoccuper davantage. Au lieu d’envisager des actions sociales pour soulager la souffrance des populations, le gouvernement augmente plutôt les taxes et impôts, pour augmenter les recettes fiscales, au lieu de réduire les dépenses non essentielles, et avoir un budget qui correspond aux possibilités financières de l’Etat. En définitive, ce sont les pauvres qui financent, par les taxes et impôts, la sauvegarde du train de vie des riches.
La troisième préoccupation est relative à la lutte contre la corruption et le gaspillage des ressources publiques. Il ne suffit pas de dénoncer les cas de corruption et de mauvaise gestion des ressources. Il faut activer les institutions y relatives, leur doter de pouvoirs et de moyens. Le secteur des marchés publics est le plus défaillant dans la région de l’Afrique de l’Est. Le budget 2023/2024 ne reflète pas l’importance que le gouvernement devrait accorder à cette question, pour faciliter la bonne gestion des ressources publiques.
Et pour conclure ?
La révision du budget 2023/2024, comme présentée, ne semble pas suffisante. Non seulement elle ne satisfait pas les objectifs convenus avec le FMI, mais, surtout, elle renforce encore davantage la pauvreté et la paupérisation de la population. Une commission indépendante devrait être mise en place pour une revue en profondeur de ce budget, en vue de l’adapter aux moyens disponibles et préserver les pauvres.
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