By IWACU
Présente au Sénat pour une séance des questions orales, mercredi 20 décembre, c’est une ministre du Commerce qui était attendue au tournant par nombre de Burundais excédés par cette nième pénurie de carburant. Fait très rare, à demi-mots, elle a reconnu que les temps risquent d’être durs, si rien n’est fait dans l’immédiat pour renflouer les caisses en devises de l’Etat.
« Il n’y a pas assez de devises. Sinon, on pourrait même constituer des stocks stratégiques. Des stocks pouvant couvrir des mois. Voire une année », a répondu, très gênée Chantal Nijimbere, ministre du Commerce.
Très réputé pour sa verve, Emmanuel Sinzohagera, président du Sénat, va même jusqu’à la pousser dans ses retranchements : « Si la population en manque comment avez-vous pu vous déplacer jusqu’ici alors que vous dites qu’il n’y a pas de carburant ? » A la ministre Chantal de concéder : « Au vu de la quantité sur place, il est difficile pour toutes les stations de servir tout le monde. Mais certaines personnes arrivent à être servies. » Comme si le carburant tendait à devenir une denrée rarissime pour quelques privilégiés.
Seul mérite : cette sortie médiatique bien qu’elle ait douché les espoirs de tous les Burundais, ironise un chauffeur de camions, au moins au lieu de prétexter comme la même ministre l’avait laissé entendre quelques jours plutôt, le 12 décembre à l’Assemblée nationale, arguant comme quoi l’actuelle pénurie serait due au retard de procédures de dédouanement. Ce conducteur est ravi du fait que cette fois-ci, elle a semblé accepter que la question dépasse ses compétences. « En tout cas, la gêne était perceptible dans sa voix ».
De quoi se demander jusqu’à quand les Burundais devront faire preuve de leur légendaire résilience. Une persistante pénurie, à bien d’égards, devient invivable pour la population. Certains gens se demandent comment, même au plus fort de l’embargo (1996-1998), le pays n’a pas vécu pareille situation.
Résister face à l’adversité jusqu’à quand ?
Depuis qu’a resurgi cette pénurie, vers fin novembre, sur tous les visages, c’est l’abattement, la désolation. « Au moins si cette pénurie ne paralysait pas toute la vie socio-économique du pays, une situation à laquelle nous commencions à nous habituer », glisse Marc, fonctionnaire. En effet, il est rare de voir autant de gens rentrer à pied après le travail vers 17h. Au point de s’étonner de voir des personnes rentrant en voiture.
Pourtant, selon nombre d’économistes contactés, une situation qu’il aurait été possible de contenir fin octobre, lors de la dernière visite d’une délégation du FMI, surtout que son constat était sans appel. Il avait laissé entendre que la quantité des réserves en devises ne peut pas couvrir deux semaines d’importation. « Mise de côté les réformes macro-économiques en cours, dans tous les cas, les autorités habilitées ont dû prendre certaines précautions qui s’imposent. Sinon, cette pénurie ne fait que se répercuter sur la mise en oeuvre desdites réformes », opine A.F., cadre de la BRB. Avant de poursuivre : « C’est un calcul très simple compte tenu des consommations en carburant. Si présentement, la quantité de carburant consommée mensuellement s’élève à 25 millions de litres. Quand bien même c’est difficile, dans le pire des cas, s’il n’y a pas autant de spéculations, je suis sûr que le gouvernement ne manquerait pas un créancier auprès de qui s’endetter. C’est de la sorte que fonctionnent toutes les économies du monde. »
Et aussitôt d’ajouter : « Est-ce que les conseillers techniques des différents ministres et leurs responsables tiennent compte de leurs observations ou note de service ?»
Plusieurs sources soutiennent qu’en grande partie cette pénurie serait liée au désistement de certains fournisseurs, désormais peu enclins à octroyer de crédit-fournisseur au pays, rendant pratiquement impossible l’importation sans pour autant au moins payer une partie de la commande.
Certaines sociétés importatrices se cacheraient derrière cette situation pour vendre le peu de carburant en République Démocratique du Congo. Malheureusement, expliquent nos sources, une situation connue de certaines autorités du pays. Allusion faite aux camions pendant le dédouanement, qui entrent au pays sous des documents de transit.
La Regideso, une bonne solution ?
Quoi que la situation semble devenir intenable, en août 2022, bon nombre de Burundais ont pensé ne plus revivre cet état de fait. En permettant à la Regideso, en plus de la production de l’électricité et de l’eau, d’importer et de vendre les produits pétroliers, une nouvelle ère venait de s’ouvrir.
Plus besoin de parler du monopole d’Interpetrol. Cette transition laissait libre place à la transparence et à la libre concurrence. Partout, dans les salons, sur les comptoirs de certains bars huppés de Bujumbura, une nouvelle accueillie avec grande ferveur. Sauf que le relatif répit n’a duré que le temps de la rosée.
La problématique liée aux devises a refait surface. Problème de prévisions ? Absence d’expertise technique de nouvelles sociétés chargées d’importation ? D’après J.F, cadre du ministère des Finances, des questions qui resteront sans réponses, surtout que jusqu’à maintenant il n’a y a pas de registre des marchés publics pour savoir quelles sociétés ont été chargées par la Regideso d’importer le carburant du pays. « C’est cela la culture de la redevabilité. La population doit savoir à qui demander des comptes ». Au moment où nous mettons sous presse, sur Chawamata Tv, une chaîne en ligne zambienne, a montré environ 200 camions d’Interpetrol en attente d’embarquement sur la frontière tanzano-zambienne vers la RDC.
En pleine pénurie, une nouvelle qui a peu réjoui la population burundaise qui ne cesse de se demander : « Si on importe pour revendre au plus offrant, c’est-à-dire nos voisins Congolais qui achètent en dollars, pourquoi pas ne pas laisser nos concitoyens s’y approvisionner pourvu que le peu qui reste de notre économie continue de tourner ? », s’interroge John, commerçant à la frontière burundo-congolaise. Avant de lâcher : « Après tout, c’est la loi de l’offre et de la demande. A moins de refaire recours à Interpetrol, qui visiblement continue à fonctionner sans pour autant recourir aux devises de l’Etat. »
La voie maritime, l’autre alternative
S’entretenant avec un de nos confrères en mission à Kigoma, en août 2022, Julienne Bakenda Mutabihirwa, directrice générale de Shegema Shipping Company, une agence maritime de Kigoma, avait indiqué avoir du mal à comprendre pourquoi les Burundais préfèrent la voie routière alors que la voie maritime est plus avantageuse pour l’importation du carburant et les autres marchandises. Elle soutient que le transport du carburant par le lac Tanganyika ne poserait pas de problème : « ARNOLAC a des bateaux qui peuvent transporter 550 m³. » La directrice générale indique que le trajet Dar-Es- Salaam jusqu’à Kigoma par train dure deux jours lorsqu’il n’y a pas de problème. Un bateau qui est lent fait Kigoma- Bujumbura en 12h, le plus rapide en 6h. « Le camion peut dépasser cette durée en faisant Dar-es-Salam-Bujumbura ».
Julienne Bakenda Mutabihirwa donne un exemple : « Un seul voyage d’un bateau de 3000 T équivaut à un voyage de 100 camions. » Et d’ajouter qu’un seul wagon transporte 40 à 42 T alors qu’un camion transporte entre 30 et 33 tonnes. « Le coût de transport sur la route est élevé et vous transportez peu de carburant. Sur le lac, le coût de transport entre Kigoma- Bujumbura est de 50.000 BIF par tonne ».
D’après les statistiques de Global Port Services de 2017, la connexion voie ferroviaire-voie lacustre permet d’économiser plus de 90 USD par tonne de marchandises. Selon les experts, les transporteurs du Burundi ont une quinzaine de bateaux capables de transporter 9590 tonnes. Pour le carburant, c’est une capacité de 550m3 de carburant équivalent à la quantité transportée par au moins 15 camions. Certains bateaux peuvent transporter 40 containers par convoi alors que via la voie terrestre, ces containers sont transportés par 40 camions.
Selon Eric Ntangaro, secrétaire exécutif de l’Association des Transporteurs du Burundi (ATIB) à l’époque, un train Dar-es-Salam-Kigoma possède 20 wagons-citernes. « Par voyage, un wagon transporte 50.000 litres, c’est-à-dire que 1 million de litres peuvent être transportés en un seul voyage. La quantité transportée par 20 wagons-citernes, c’est plus de 25 camions sur la route ».
D’après lui, un tas de raisons qui explique l’avantage, surtout que tout cela impacte sur le prix à la pompe, et qu’en retour, c’est le consommateur qui trinque. « Par la voie lacustre, le temps est plus court, moins cher et moins risqué. De plus, avec le transport routier, le tonnage diminue. »
Nombre de personnes s’accordent à dire que le corridor central (Dar es Salam – Kigoma par train et Kigoma-Bujumbura par le lac Tanganyika) présente beaucoup d’avantages.
Pour rappel en 2017, la Banque mondiale avait promis de financer le projet destiné à améliorer le corridor central notamment dans la mise en place des infrastructures de transport. Et cela à hauteur de 600 millions de dollars américains. Libérât Mpfumukeko, alors Secrétaire général de l’East African Community (EAC), avait indiqué que ce projet permettra de réduire d’environ 40% les coûts de transport des marchandises dans les pays du corridor central ce qui devait se répercuter sur le prix au détail.
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