By IWACU
Sixte Vigny Nimuraba, président de la CNIDH, a présenté, le lundi 19 février 2024, le rapport annuel d’activités, exercice 2023, devant l’Assemblée nationale au Palais des congrès de Kigobe. Il déplore la détérioration des conditions carcérales. De leur côté, les défenseurs des droits de l’Homme dénoncent les irrégularités récurrentes dans le traitement des dossiers des détenus.
Lors de la présentation dudit rapport, le président de la Commission nationale indépendante des droits de l’Homme (CNIDH), est revenu et insisté sur les conditions de vie dans les onze établissements pénitentiaires du Burundi. Des conditions carcérales déplorables au regard de la situation décrite et des chiffres donnés par M. Nimuraba.
Au cours de l’exercice 2023, a fait savoir Sixte Vigny Nimuraba, la CNIDH a effectué cinquante et une visites dans des prisons et des centres de rééducation pour les mineurs en conflit avec la loi. Et de préciser que des fois, ces visites ont été effectuées conjointement avec les représentants des parquets de base, des parquets généraux ainsi que les responsables des établissements pénitentiaires.
« Avec leur capacité d’accueil de 4 294 prisonniers, les 11 établissements pénitentiaires du Burundi hébergeaient au 31 décembre 2023, 13 565 prisonniers dont 6 794 condamnés et 6 771 prévenus, soit 316% de taux d’occupation, sans compter les nourrissons vivant avec leurs mères », a indiqué le président de la CNIDH devant les députés réunis en séance plénière au Palais des congrès de Kigobe.
Dans les prisons de Mpimba à Bujumbura, de Ngozi et Ruyigi, a-t-il fait savoir, les conditions de vie se détériorent de plus en plus. Et de confier que dans ces prisons, un nombre important de prisonniers dorment à la belle étoile et sont exposés au froid. D’autres dorment dans les couloirs et dans les douches, a-t-il déploré.
Bien plus, le président de la CNIDH reste préoccupé par les prisonniers souffrant de maladies chroniques et de maladies mentales.
Entre les mois de juillet et décembre 2023, a-t-il indiqué, la Commission a recensé cent trente-quatre prisonniers ayant des troubles mentaux dans différentes prisons. La prison pour hommes de Ngozi vient en tête avec 47 prisonniers, suivie de celle de Mpimba à Bujumbura avec 32 prisonniers et celle de Gitega qui totalise 14 prisonniers.
La CNIDH a recommandé aux responsables des prisons et aux autorités judiciaires de faciliter le transfert de ces prisonniers dans les prisons qui sont proches des centres de prise en charge des malades mentaux.
Les cachots ne sont pas épargnés
Sixte Vigny Nimuraba a informé que par exemple lors d’une visite au cachot du Commissariat de police de Kirundo au chef-lieu de la province le 8 août 2023, celui-ci contenait 175 détenus dont 3 enfants alors qu’il n’a qu’une capacité d’accueil de 30 personnes.
Au 19 septembre de la même année, dans le cachot du Commissariat de la mairie de Bujumbura, la CNIDH a découvert un cachot avec 398 détenus alors qu’il ne devait pas dépasser 46 personnes, soit un dépassement de 865 %. Le 25 du même mois, le cachot du Commissariat de Kabezi de 2 m sur 2 m détenait sieze personnes.
Sixte Vigny Nimuraba a déclaré que ce sont surtout les cachots qui sont sur les chefs-lieux des provinces qui sont les plus concernés par la surpopulation carcérale. Son explication est que les détenus qui attendent la confection de leurs dossiers se voient être rejoints par d’autres en provenance d’autres cachots.
Au cours de l’année 2023, a informé le président de la CNIDH, 355 visites surprises ou averties ont été effectuées dans les cachots et prisons. Sur un total de 4 714 personnes qui étaient détenues dans différents cachots et à différents moments, a-t-il précisé, 1 327 personnes dont 1053 hommes et 147 femmes ont été remises en liberté grâce à ces visites.
« La majorité de celles qui ont été remises en liberté étaient poursuivies pour des infractions mineures. D’autres étaient en détention illégale », a fait savoir M. Nimuraba.
Plusieurs causes expliquent la surpopulation carcérale observée
D’emblée, le président de la CNIDH a épinglé un important mouvement d’entrée de détenus dû en partie au recours inopportun à la détention préventive même pour des infractions moins graves.
Bien plus, il a évoqué le non-respect de loi ; la lenteur dans le traitement des dossiers judiciaires ; le recours intempestif en appel contre les décisions judiciaires de remise en liberté des prévenus ; la lenteur dans l’exécution ou la non-exécution des décisions judiciaires.
Et d’ajouter aussi le maintien en détention des prisonniers ayant été acquittés ou ayant purgé leur peine surtout ceux qui sont poursuivis pour atteinte à la sécurité intérieure de l’Etat, collaboration avec les groupes armés, ou détention illégale d’armes à feu.
Pour désengorger les prisons et les cachots, le président de la CNIDH a recommandé la libération des prisonniers en détention irrégulière ; l’application des peines alternatives à l’emprisonnement comme les travaux d’intérêt général et la remise en liberté des prisonniers souffrant de maladies chroniques ou de troubles mentaux.
Réactions
Vianney Ndayisaba : « Le respect de la loi est la condition sine qua non »
« Le surpeuplement des prisons est une réalité au Burundi. Des prisonniers dorment à la belle étoile, agglutinés », déplore Vianney Ndayisaba, coordinateur national de l’Association de lutte contre le chômage et la torture. Pour lui, cette situation est due au non-respect des lois burundaises et internationales.
Et de constater avec regret que la majorité des prisonniers sont ceux qui ont commis des infractions mineures, ou détenus pour cause de dette civile ou encore pour des affaires civiles comme les conflits fonciers.
Il tient à rappeler que la Constitution stipule que « la liberté est la règle et la détention l’exception ». Il interpelle les responsables des cours et tribunaux à respecter et à mettre en application le souhait du chef de l’Etat. « Le président de la République a lui-même recommandé qu’il faut relâcher ceux qui ont commis les infractions mineures et garder ceux qui sont accusés d’infractions graves comme les crimes de sang, les atteintes à la sécurité intérieure de l’Etat et les viols ».
Pour désengorger les prisons, recommande M. Ndayisaba, il faut l’application du travail d’intérêt général ainsi que libérer les malades mentaux. Il exhorte les magistrats à faire preuve de déontologie professionnelle.
Bien plus, ce défenseur des droits de l’Homme dénonce les autorités administratives, militaires et policières qui s’ingèrent dans les dossiers judiciaires. « Ces dernières intiment souvent l’ordre aux magistrats de traiter les dossiers dans un sens ou dans un autre. J’ai beaucoup de cas illustrant cette situation », regrette-t-il.
Il demande au gouvernement de punir ces autorités qui torpillent les procédures judiciaires. « Qu’il commence aussi à punir les magistrats responsables des détentions illégales ou d’un mal jugé ».
Vianney Ndayisaba interpelle aussi les justiciables à dénoncer les autorités administratives qui utilisent leur position pour torpiller les procédures judiciaires.
Jean-Marie Nshimirimana : « Elles ont intérêt à ce que la justice soit et reste indépendante »
Jean-Marie Nshimirimana, président de l’association Solidarité avec les prisonniers et leurs familles (SPF-Ntabariza), fait savoir que les prisons et les cachots sont surpeuplés. Or, fait-il observer, au niveau des cachots, la personne est présumée innocente.
Il estime que les officiers de la Police judiciaire peuvent continuer leurs enquêtes tout en mettant le détenu en liberté. Surtout que « quand une personne est incarcérée, cela perturbe toute la famille sur le plan aussi social qu’économique ».
« Nous interpellons tous les intervenants en matière de détention à mettre en application l’appel du chef de l’Etat de désengorger les prisons », répète-t-il.
Quant aux autorités qui manipulent la justice, M. Nshimirimana leur fait un clin d’œil en leur disant qu’elles ne seront pas toujours dans ces positions. « Un jour, la justice pourra les interpeller. Elles ont intérêt à ce qu’elle soit et reste indépendante ».
Il interpelle le chef de l’Etat, Magistrat suprême, a organisé les états généraux de la Justice pour dénoncer et punir tous ceux qui manipulent la justice. Il exhorte aussi les magistrats à oser dénoncer les personnes qui leur imposent des ordres.
Hamza Venant Burikukiye : « Que les magistrats jouent leur rôle de rendre justice »
« Pour désengorger les prisons, il n’y a pas mille solutions. Il faut le respect de la loi », indique Hamza Venant Burikukiye, président de la Plateforme intégrale de la société civile du Burundi (Pisc-Burundi).
Il considère que les OPJ et les magistrats doivent suivre l’éthique et la déontologie de leur métier.
Cet activiste de la société civile estime inadmissible le fait de mettre en prison des personnes ayant commis de petites infractions ou de garder en prison celles ayant purgé leur peine.
« Il y a des infractions qui ne méritent pas une peine d’emprisonnement. Il ne faut pas non plus qu’il y ait des prisonniers sans dossiers ou ceux qui purgent leur peine qui restent écroués. C’est inadmissible ».
A propos des autorités administratives qui s’ingèrent dans les dossiers judiciaires, M. Burikukiye estime que la responsabilité incombe aux magistrats.
Et de s’interroger : « Pourquoi accepter qu’une autre institution s’ingère dans votre travail ? C‘est une faiblesse quelque part. Il faut que les magistrats jouent leur rôle de rendre justice ».
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