By IWACU
Arrêts des activités commerciales, perturbation des relations sociales, …. Les populations des provinces frontalières avec le Rwanda sont dans la désolation totale après la nouvelle fermeture des frontières terrestres. Elles y voient plus de pertes que de bénéfices. Elles en appellent au dialogue afin qu’elles reprennent leurs affaires. « Une mesure politique aux conséquences économiques incalculables », décortique un économiste.
Au poste-frontière d’Akanyaru se trouve un centre de négoce appelé Mparamirundi. D’habitude très fréquenté, aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Il n’y a plus beaucoup de mouvement. C’est là que les Burundais en partance vers le Rwanda, ou les Rwandais qui entrent au Burundi aiment se reposer et étancher leur soif.
Actuellement, sur les visages des quelques rares hommes et femmes croisés là-bas, c’est du questionnement. Face à notre présence, ils se montrent méfiants. Ils nous regardent de loin. Comme à l’accoutumée, on se présente. « Des journalistes ici ? », s’exclament quelques hommes, avant de s’éclipser. « Haa. Ivyubu biragoye. Ntaco dufise tuvuga, gusa turahomba goooose (Eeeh. C’est compliqué aujourd’hui. Rien à dire. Seulement, nous perdons beaucoup), lâche un motard, rencontré sur place.
Pour avoir de plus amples informations, nous essayons difficilement de le convaincre afin qu’il puisse détailler sa version des faits, en vain. Par après, un autre homme qui nous observait de loin s’approche de nous. Tout en nous exigeant de ne pas citer son nom, il accepte de témoigner.
« Ici, surtout les week-ends, il y avait beaucoup de Rwandais qui venaient s’y détendre. Ils apprécient beaucoup nos boissons. Même ceux qui rentraient de Bujumbura, c’était ici leur dernier transit avant d’entrer au Rwanda. Les cabaretiers faisaient beaucoup de bénéfice. Mais, aujourd’hui, c’est la mévente », raconte-t-il.
Il signale que même des Burundais profitaient de cette bonne cohabitation. Beaucoup de véhicules burundais faisaient des va-et-vient Burundi-Rwanda transportant des poissons, des Ndagala, des boissons ainsi que d’autres biens. Mais, depuis l’annonce de la fermeture des frontières, c’est fini. Un autre homme de Mparamirundi ajoute que même les petits agriculteurs pouvaient écouler leurs produits au Rwanda ou acheter ce dont ils ont besoin au Rwanda.
« Les échanges étaient vraiment fructueux », souligne-t-il avant d’ajouter que même socialement, les Burundais pouvaient participer dans des fêtes familiales au Rwanda et vice-versa. Cet homme, la soixantaine, trouve que les conséquences de la fermeture des frontières sont graves et qu’ils vont affecter beaucoup le petit peuple. « J’entends souvent à la radio qu’il y a un conflit entre la RDC et le Rwanda mais, je n’ai jamais entendu une mesure de fermeture des frontières entre les deux pays. Et pourquoi cette décision est-elle très rapide ici chez nous ? »
Même scénario à Kirundo
A Kirundo, la situation est identique. « C’est une grande perte de voir les frontières de nouveau fermées. Beaucoup de Burundais se rendaient au Rwanda pour diverses raisons surtout pour le commerce ou pour les soins de santé. Alors, attendons-nous à la reprise du commerce clandestin », déplore et prévient I.K, un habitant de Ntega.
Il craint aussi que certaines personnes puissent être victimes de la suspicion suite à ce regain de tension entre les deux pays. « Je connais des gens qui ont été arrêtés injustement accusés de faire du commerce clandestin ou de s’être rendus clandestinement au Rwanda dans les années 2015,2016, 2017. Aujourd’hui, je ne doute pas qu’il y ait des commerçants qui tenteraient d’écouler tel ou tel autre produit agricole vers le Rwanda. »
Par ailleurs, il signale qu’il existe des Burundais qui ont de belles-familles, des sœurs, des frères de l’autre côté de la Kanyaru : « Est-ce qu’ils vont les abandonner ? C’est difficile. »
Une source de Busoni indique qu’aujourd’hui, certains camions citernes passent par Gasenyi-Nemba pour approvisionner le Burundi en carburant. Pour lui, c’est le petit peuple qui va en souffrir beaucoup. « Pourquoi la frontière aérienne reste ouverte aux avions en provenance du Rwanda ? Qui est ce petit peuple qui est capable de payer un ticket d’avion pour aller se faire soigner à Kigali ? Mais, avec la frontière terrestre, c’était possible. Ce qui signifie que seuls les riches vont pouvoir bénéficier des soins à Kigali. C’est injuste. »
Et d’ailleurs, analyse-t-il, le Burundi étant membre de l’EAC, pourquoi empêcher la circulation des biens et des personnes ? Notre source trouve que cette mesure est aussi en contradiction avec la politique du gouvernement invitant les réfugiés à rentrer : « Est-ce que cela ne va pas pousser les réfugiés burundais se trouvant au Rwanda à hésiter à rentrer ? »
Les Congolais pénalisés indirectement
Le poste-frontière de Ruhwa se trouve en province de Cibitoke. Là, après la réouverture en 2022 des frontières entre le Rwanda et le Burundi qui avaient été fermées en 2015, le trafic y était redevenu intense. Des Congolais et des Rwandais entraient au Burundi via ce poste. Des agences de transport, surtout appartenant aux Congolais, assuraient les navettes Burundi-Rwanda-RD Congo.
Côté burundais, des vendeurs ambulants, des bouchers, des vendeuses de fruits, … grouillaient à cette frontière. Des petits restaurants et des boutiques y avaient déjà repris les activités. Avec la nouvelle fermeture, c’est un coup dur pour tout ce monde. « Vraiment, cela ne peut pas m’enchanter. Notre souhait est de continuer à entretenir de bonnes relations avec le Rwanda afin que nous puissions continuer à exercer notre petit business. Et voilà, tout est paralysé », réagit un Burundais, vendeur à ce poste.
D’après lui, s’il y a des problèmes, cela devrait être traité au haut sommet et laisser le petit peuple continuer ses affaires. Notre interlocuteur fait observer que la mesure ne touche pas seulement les Rwandais et les Burundais, même les Congolais sont affectés.
« Ils passaient par ici pour atteindre leur pays. Ils achetaient des biens au Burundi comme les produits Brarudi, les fruits, les poissons, etc. Et voilà, eux aussi, ils subissent les conséquences de cette décision », déplore-t-il. Il ajoute que les week-ends, la circulation à ce poste était vraiment très intense. « Des Rwandais venaient se détendre à Rugombo, visiter des amis, etc. Mais, il s’agit d’un coup d’arrêt. C’est regrettable. »
I.O, un motard croisé à ce poste regrette lui aussi que la décision ait stoppé leur travail. « D’habitude, on amenait des gens ici, des Rwandais, des Congolais. Et voilà, la circulation s’est arrêtée. On chôme. Ça va être dur pour nous pour pouvoir nourrir nos familles. »
Avec cette fermeture, Jeanne Nibizi, 40 ans, ne voit pas comment elle va vivre avec ses neuf enfants. « C’est au poste-frontière que je trouvais de l’argent pour les nourrir en faisant du commerce des fruits. Ils ne dormaient jamais sans manger. Mais actuellement, seulement quelques jours après la fermeture, je peine à les nourrir ne fut-ce qu’une seule fois par jour »
Cette vendeuse de tomates, de mangues, de pastèques et d’oranges indique qu’avant que la mesure ne tombe, elle avait déjà dépensé son argent pour approvisionner son stock. « Je venais de vendre quelques unités. Et la décision est tombée. Or, vous savez que les fruits pourrissent rapidement. J’ai presque tout jeté. J’ai perdu beaucoup d’argent », informe Mme Nibizi, encore sous le choc.
Aujourd’hui, pour essayer de survivre, elle doit dépenser l’argent qu’elle avait thésaurisé afin de s’acheter des chèvres à élever. Elle craint que ses enfants n’abandonnent l’école si la mesure n’était pas rapidement levée afin de reprendre son travail. « Comment vais-je rembourser le petit crédit que j’avais contracté ? », s’interroge-t-il.
Et d’interpeller le gouvernement burundais : « Que cette question avec le Rwanda soit résolue rapidement pour que la frontière soit de nouveau opérationnelle. Au cas contraire, attendez-vous à d’autres mendiants dans la rue. Afin d’éviter cela, il faut nous trouver des places pour continuer notre travail. »
Même son de cloche chez Jacqueline Ndayishimiye, une autre vendeuse de fruits. Mère de huit enfants, elle tenait aussi un petit restaurant sur les lieux. Des passagers, du personnel assurant le contrôle des biens et des personnes sur ce poste-frontière se rationnaient chez elle.
Comme Mme Nibizi, elle aussi avait constitué un stock, très tôt le matin avant la fermeture. « Aujourd’hui, des mangues, des oranges, des pastèques pourrissent sous mes yeux. Cela me fait mal au cœur. Je ne vois plus comment je vais survivre avec mes enfants », s’indigne-t-elle.
Native de la colline Mparambo II, elle signale que leurs fruits étaient beaucoup achetés par les Congolais : « Comme leur monnaie a plus de valeur que la nôtre, on gagnait beaucoup. Nos clients étaient surtout des Congolais. »
Aujourd’hui, cette maman dit qu’elle passe des nuits blanches en pensant à un autre métier à faire pour subvenir aux besoins familiaux. « En tout cas, si la mesure n’est pas revue d’ici peu, notre avenir est compromis », se résume-t-elle.
« La mesure va gonfler le nombre de mendiants », prévient un jeune homme rencontré à Ruhwa. « Moi, je faisais le commerce des carte-Sim pour les téléphones. Je transférais aussi de l’argent via Lumicash. Et mes clients étaient des passagers rwandais ou congolais. Aujourd’hui, il n’y a pas de circulation. Ce qui sous-entend que mon travail s’est arrêté. Comment vais-je alors manger et m’habiller ? C’est difficile. »
Un autre jeune vendeur à ce poste affirme que les conséquences sont déjà là : « C’est ici qu’on cherchait de l’argent. Et on ne se lamentait pas. S’il n’y a pas de passagers, de circulation, cela signifie qu’on n’aura pas de clients. Toutes les activités vont s’arrêter. Tous ces jeunes qui grillaient des brochettes et du maïs ; toutes ces vendeuses de fruits ; ils retrouvent désormais sans activités. »
D’ailleurs, glisse-t-il, le gouvernement gagnait de l’argent via les taxes payées par ces vendeurs, ces tenanciers des boutiques, etc. Il estime alors que même la caisse de l’Etat va être affectée. « Qui va continuer à payer la taxe alors qu’il ne travaille plus ? »
Businessmen, hôteliers : se « réinventer » pour survivre…
Bientôt deux semaines après la décision du gouvernement burundais de fermer toutes les frontières terrestres avec le Rwanda, commerçants ; hôteliers, principalement des provinces de Kayanza, Ngozi et Bujumbura paient les pots cassés. A demi-mots, ils confessent que rien qu’en une semaine, leurs chiffres d’affaires ont déjà chuté de 50%.
Point d’arrêt incontournable pour la population en provenance du Rwanda convergeant vers Bujumbura et ses environs. Depuis la fermeture des frontières, les bars très bouillants des chefs-lieux des provinces du Nord du pays ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes. Un désastre pour les hôtels des localités.
Souvent obligés de réserver deux voire trois jours à l’avance, depuis l’entrée en vigueur de la fermeture des frontières entre le Burundi et le Rwanda, les quarante-deux chambres du très prisé hôtel Les Plateaux de Ngozi peinent à trouver preneurs. « Aujourd’hui, les quelques clients qui nous restent, sont des gens qui viennent pour les séminaires ou ateliers », glisse un serveur.
Pourtant, il y a quelques jours, même durant la semaine, l’hôtel était entièrement plein. Quid de sa clientèle ? Essentiellement des Rwandais venus passer du bon temps en famille, rendre visite à leurs amis burundais ou venus pour les affaires. « Une vraie manne touristique, qui plus, ne lésine pas sur ses moyens lorsqu’il s’agit de consommer », précise un autre serveur qui poursuit : « Lorsque vous avez trois clients rwandais, en plus de loger à l’hôtel, ils croquent facilement 1 million de BIF. Curieusement, ils disent que c’est plutôt bon prix. Vous comprenez que ceux-là possèdent un certain pouvoir d’achat ».
Un élément qui va manquer aux Burundais
Le pouvoir d’achat des Rwandais est un élément qui va manquer aux commerçants burundais. En effet, actuellement, 30 000 FRw s’échangeant autour de 100 000 FBu. Ce serveur explique que depuis bientôt 5 mois qu’il travaille à cet hôtel, il a rarement vu un Rwandais réserver une chambre en dessous de 50 000 BIF. Il se demande, d’ores et déjà comment l’hôtel va combler ce manque à gagner.
Les commerçants en sont les autres victimes, particulièrement les grossistes de produits maraîchers comme les fruits, les oignons. Il en est de même pour les vendeurs de balais. Alors que d’habitude, leurs clients burundais peinent à débourser 2 500BIF pour acheter un kg d’oignon rouge, Adija confie que les Rwandais n’hésitent pas à lui donner 3 000BIF/kg. « Une bonne affaire pour eux, surtout qu’ils savent qu’une fois au Rwanda, leur marge de bénéfice va tripler ou quadrupler », note-t-elle. Vendeur de balais, B.F. déplore qu’avec cette fermeture des frontières, c’est un marché de plus de 50 millions de BIF qu’il va perdre. Fournisseur attitré de la ville de Nyarutarama et ses environs, il voit mal comment il va rembourser le petit crédit qu’il avait contracté pour étendre son business. « Mon seul espoir, c’est que la situation redevienne normale. Autrement, je ne doute point que des familles risquent de se retrouver en train de mendier alors que depuis peu, grâce à leurs commerces improvisés comme la vente à la sauvette des boissons Kick, etc, ils pouvaient subvenir à leurs besoins »
Bujumbura la belle n’est pas épargnée
Avec ses plages huppées et branchées boîtes de nuit, les conséquences de cette fermeture des frontières avec le Rwanda commencent à se répercuter sur leurs activités. Très bondée les week-ends, la très prisée boîte de nuit Arena Night-Club reprend ses airs d’antan avec la réouverture des frontières en 2022 qui avaient été fermées en 2015 « Depuis la semaine passée, les seules personnes qui viennent sont des Burundais qui sont nos clients habituels. Une situation aux antipodes des quatre derniers mois où depuis jeudi la boîte de nuit était pleine à craquer avec des clients rwandais qui se déplaçaient par dizaines voire des centaines ».
Ainsi, à en croire les serveurs de ce night-club interrogés, cette fermeture a déjà impacté leurs chiffres d’affaires. « Si facilement 20 serveurs de service peuvent écouler des boissons équivalant à 1 500 000 BIF chacun, et que maintenant l’on atteint difficilement 100 000 BIF par serveur, vous comprenez que l’incidence est là ».
Avec la fermeture, B.C redoute que cela n’ait de répercussions sur le personnel. « Qui ne craindrait pas le chômage technique avec pareille mesure. Croisons les doigts pour que cela n’advienne pas ». Plus grave, à l’instar des hôteliers des provinces du Nord du pays, les hôteliers de Bujumbura ont également ressenti l’onde de choc de la mesure. Comptant 85 chambres réservées (affichées complètes depuis septembre 2023), à raison de 300 000 BIF pour les nationaux la nuitée pour la chambre au standard moyen et 150 USD pour les étrangers, l’hôtel Roca Golf est en quête de nouveaux repères.
Un dilemme sans nom, explique un des responsables de cet établissement hôtelier, lorsque l’on sait que dorénavant la clientèle visée n’a pas le même pouvoir d’achat que les Burundais Allusion faite aux nombreux Rwandais qui avaient pris l’habitude d’y séjourner. Ainsi, avec la fermeture des frontières, il explique que la seule urgence consiste à réajuster les prix. « Néanmoins, un réajustement pour combien de temps, lorsque ce qui devrait être ta clientèle cible est limitée par le pouvoir d’achat ? »
Le spectre des chômages techniques sur toutes les bouches
En haut de ce maillon de la chaîne, les sociétés spécialisées dans le transport des passagers en provenance du voisin rwandais comptent parmi les principales victimes.
Au lieu de louer les services de transport en commun, souvent jugés trop lents, nombre de voyageurs en provenance ou en partance vers le Rwanda, avaient pris l’habitude de louer des mini vannes Toyota de marque Voxy. Selon l’un des chauffeurs rencontrés, il s’agit d’un business florissant. « A raison de 80 mille BIF/tête pour une course qui compte 7 personnes pour un trajet aller-retour, tu étais sûr de gagner facilement 900 mille BIF », raconte-t-il. Avec cette mesure, c’est tout un parc automobile et des chauffeurs désormais qui seront au chômage.
Même cas de figure pour l’industrie de l’événementiel du Burundi. Sous anonymat, F.G, DJ dans une boîte de nuit de Gitega craint que la fermeture des frontières avec le Rwanda ne se répercute sur l’organisation des concerts et autres grands événements. « En tout cas, je ne serais pas surpris si du jour au lendemain la flamme s’éteignait ».
Et de conclure, mes plus grandes inquiétudes sont ailleurs: « Cette éventualité d’une main d’œuvre du monde de l’ Entertainment du jour au lendemain qui va se retrouver au chômage. Un très mauvais préjudice pour le pays, surtout que cette main d’œuvre est entièrement constituée de jeunes vulnérables ».
Hervé Mugisha
ENTRETIEN/André Nikwigize : « C’est une mesure politique aux conséquences économiques incalculables. »
D’après André Nikwigize, économiste, l’annonce par Gitega de la fermeture des frontières avec le Rwanda a été tant une surprise qu’une déception aussi bien pour la population burundaise, le Burundi, le Rwanda que pour les pays de la région et la communauté internationale. Et cela sans une aucune consultation préalable. Il se demande s’il n’y avait pas d’autres voies, moins catégoriques, de régler les problèmes politiques qui existent entre les deux pays.
Comment avez-vous accueilli la décision du Burundi de fermer ses frontières avec le Rwanda ?
Chaque personne qui a appris la nouvelle s’est posé de nombreuses questions : est-ce que réellement les autorités burundaises se préoccupent du bien-être de leur population ? Le Burundi croit-il encore aux idéaux de la coopération économique régionale contenus, notamment, dans les Chartes de l’East African Community (EAC) et de l’Union africaine, en particulier, la libre circulation des marchandises, des personnes et des capitaux au sein des pays de toute communauté régionale ?
La fermeture des frontières était-elle nécessaire ?
N’y avait-il pas, pour le Burundi, d’autres voies, moins catégoriques, de régler les problèmes politiques sans recourir à la fermeture des frontières communes qui aura des conséquences fâcheuses sur les populations des deux pays ? Pourquoi n’avoir pas soumis le contentieux politique entre les deux pays à l’EAC qui dispose des mécanismes de règlement des litiges entre les pays membres ? Pourquoi pas à l’Union Africaine ? Autant de questions auxquelles seuls les auteurs de la mesure de fermeture peuvent répondre.
Mais les populations des deux pays restent désemparées. D’autant plus que certains Rwandais, se trouvant au Burundi au moment de la mesure, ont rencontré d’énormes difficultés de sortir du pays et de récupérer leurs biens.
Le Burundi doit-il s’attendre à des pertes économiques ?
Personne n’ignore l’importance que représentait le commerce entre le Rwanda et le Burundi avant l’aggravation des problèmes politiques entre les deux pays. En 2018, par exemple, les recettes douanières provenant des exportations du Burundi vers le Rwanda s’élevaient a plus de cinq millions de dollars américains, faisant du Burundi le troisième pays de destination des exportations du Rwanda, après la République démocratique du Congo et l’Egypte.
Nul n’ignore aussi que les Rwandais représentaient la grande majorité des touristes au Burundi étant donné que beaucoup de Rwandais ont des attaches au Burundi, pour des raisons historiques.
Ils y viennent régulièrement et y passent quelques jours, souvent en famille. Nul n’ignore que certains Rwandais exercent des activités commerciales au Burundi, en collaboration avec leurs frères et sœurs burundais.
Nul n’ignore que les populations frontalières des deux pays gagnent leur vie grâce aux activités de commerce transfrontalier à travers l’échange des produits vivriers, des fruits, des poissons du lac Tanganyika, du lait et bien d’autres biens.
Nul n’ignore que depuis longtemps, les artistes des deux pays exhibaient leur art et partageaient, comme des frères et sœurs, les connaissances, dans un esprit de convivialité et d’entente mutuelle. Toutes ces activités, aussi bien commerciales, artistiques que culturelles favorisaient la bonne entente entre les populations. Surtout, elles procuraient au Burundi une partie des recettes dont il a tant besoin.
Etait-ce le moment propice pour fermer les frontières ?
Comme tout le monde le sait, aujourd’hui, le Burundi se classe comme pays le plus pauvre du monde. Ses recettes d’exportation couvrent moins de 20% des besoins d’importation de biens et services. Les réserves en devise couvrent, à peine, deux semaines d’importation ; l’investissement direct étranger est le plus faible de la région avec une dette publique insoutenable. Etait-ce le moment propice pour fermer les frontières avec l’un des pays le plus proche du Burundi, en termes de structure de production, de culture et de parcours historique similaire ? Non.
Comme certains l’ont affirmé, en fermant les frontières communes avec le Rwanda, le Burundi « se tire une balle dans le pied ». Malheureusement, les séquelles d’une telle mesure risquent de prendre du temps avant de se cicatriser. Encore qu’elles affecteront les relations entre le Burundi et les autres partenaires étrangers. Ils feront en effet moins confiance au système de gouvernance du Burundi. De même, les Rwandais feront de moins en moins confiance aux Burundais qui les ont trahis dans tous les domaines.
Les autorités burundaises devraient reconsidérer la mesure prise de fermeture des frontières avec le Rwanda, car ses conséquences sur le pays et les populations burundaises seront incalculables. La sagesse burundaise dit : « Wanka bangwe ntiwanka zana ndore » qui signifie qu’il faut accepter d’être conseillé.
Un retour en arrière
Pascal Niyonizigiye, politologue et spécialiste des relations internationales trouve que la fermeture des frontières entre le Rwanda et le Burundi est un coup dur pour les peuples des deux pays. Il appelle la CRGL à enquêter sur les allégations du Burundi portées contre le voisin du Nord.
Selon Pascal Niyonizigiye, politologue et spécialiste des relations internationales, la fermeture des frontières entre le Burundi et le Rwanda est un événement dramatique pour les deux pays. « C’est très dommage que les relations entre le Burundi et le Rwanda qui étaient presque rétablies depuis l’arrivée au pouvoir du président Evariste Ndayishimiye soient devenues encore une fois tendues ».
Il estime qu’il s’agit d’un retour en arrière. On avait cru à la reprise de la coopération après les événements de 2015 car, dit-il, le chef de l’État rwandais était déjà venu au Burundi, des autorités burundaises s’étaient déjà rendues au Rwanda. Les populations avaient cru que la reprise de la coopération allait devenir une réalité palpable.
Le politologue Niyonizigiye indique que tout part d’une attaque à Vugizo, en zone Gatumba de la province de Bujumbura par le groupe rebelle Red-Tabara considéré comme terroriste par le gouvernement burundai. Lors de son discours de fin d’année, précise-t-il, le président du Burundi a accusé le Rwanda de fournir un soutien logistique et financier à ce mouvement. Ce que nie son voisin du Nord. « Le gouvernement a été bouleversé par la mort des gens à Gatumba. Depuis 2015, il y a toujours des accusations pendantes, mais le Rwanda réfute toute implication ».
M. Niyonizigiye trouve que le coût de l’instabilité au niveau social et politique est énorme pour les peuples des deux pays voisins après la fermeture des frontières.
Il parle notamment de la peur et de la psychose au niveau des frontières liées à la sécurité des gens. Des échanges commerciaux, ajoute-t-il, régressent d’une manière sensible alors que les deux pays sont complémentaires en matière d’échanges des produits divers. « Il y a des liens sociaux qui sont une réalité. Des Burundais épousent des Rwandaises et vice-versa ; des étudiants rwandais et burundais circulent. C’est vraiment dommage, car on était suffisamment avancé ».
Ce spécialiste des relations internationales considère que ces deux pays devraient chercher à résoudre ce problème le plus rapidement possible. Il suggère de diligenter une enquête internationale sérieuse. « Il faut mettre sur pied une commission internationale neutre, dans le cadre de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs, CIRGL pour clarifier les choses. Cela permettra d’établir les responsabilités ».
D’après lui, une fois la vérité connue, les deux pays envisageront la reprise de la coopération progressive. Visiblement, ajoute le politologue, il y a des questions qui doivent être traitées entre les deux pays.
Jérémie Misago
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