By IWACU
La Banque de la République du Burundi (BRB) assure que l’argent circulant dans les tontines et SILC peut faire chuter les banques et institutions de microfinance. Ils sont à l’origine de certains conflits et de cas de blanchiment d’argent observés. Pour un économiste, leur interdiction risque de couper la culture de l’épargne et du crédit.
Les personnes qui épargnent et se donnent des crédits dans des groupes dénommés tontines et les Saving Internal Loaning Community (SILC) sont dans le viseur de la Banque centrale du Burundi. La BRB a lancé un communiqué vendredi 14 décembre où elle suspend les SILC et tontines. « On a constaté que la prolifération de leurs activités cause préjudice », explique Simplice Sabiyumva, chef de service chargé de la supervision des microfinances à la BRB.
Selon lui, la banque centrale veut pousser le public à collaborer avec les institutions qui sont sous son contrôle. Il indique que les activités des tontines et SILC sont illégales. Ainsi, il fait un clin d’œil à la population pour user de beaucoup de prudence avant de décider où investir leur argent. Si l’argent est investi dans un système pyramidal frauduleux, avertit-il, l’argent peut être perdu ; au niveau des instances judiciaires il y a beaucoup de cas de litiges en rapport avec ce système.
M.Sabiyumva rappelle que tout le monde est concerné : « Même les porte-faits qui font des tontines, ces mères qui épargnent et se donnent des crédits dans différents quartiers dans des SILC, personne n’échappe à l’interdiction de la BRB. »
Le chargé du service de la supervision des microfinances explique que l’on ne peut pas différencier celui qui investit une grande somme d’argent et celui qui injecte une petite somme : « Tout le monde est dans l’illégalité. » Simplice recommande à ces mamans et autres personnes membres des tontines et SILC de s’organiser pour voir comment intégrer la 4e catégorie des institutions de microfinance. Car, fait-il savoir, leurs activités peuvent se faire dans un système qui est formel.
Il rappelle que les groupements financiers communautaires sont enregistrés à la Banque centrale et qu’il y a une circulaire qui donne des éclaircissements sur leur fonctionnement. Et d’inviter tous les groupes des SILC et tontines à chercher à comprendre comment ces groupements fonctionnent. « Et puis, s’ils le veulent, ils pourront se faire enregistrer à la Banque centrale et continuer leurs activités ».
Il les rassure en disant que dans ces groupes, ce sont elles qui se parlent comment ils vont s’octroyer des crédits, sur quels taux d’intérêts… « Ce sont les membres qui, à travers leurs statuts, définissent les activités qu’ils vont exercer en tenant compte de la circulaire déjà évoquée ».
La BRB reproche aux personnes qui s’organisent dans les tontines et SILC de mener des activités bancaires. Pour le chef du service chargé de supervision des microfinances, la loi bancaire et celle portant sur les activités des microfinances sont claires : « La collecte de l’argent à travers des cotisations et des octrois de crédits sont des activités dédiées aux secteurs bancaires. »
Les concernés semblent ne pas comprendre
Une maman, membre d’un SILC à Musaga dit ne pas comprendre le communiqué de la BRB qui interdit les SILC et tontines. Rencontré au marché de Musaga, la commerçante de vêtements confie que les membres de son SILC ont déjà partagé les épargnes et intérêts sur les crédits que les membres ont contractés au cours de l’année 2023 qui touche à sa fin. « Chacun a eu 240 mille BIF d’épargne plus 90 mille BIF d’intérêt », a-t-il dit avant d’exprimer sa satisfaction : « Chaque membre pourra au moins célébrer la fête de Noël en toute quiétude. »
Dans son SILC, chacun épargne 20 mille BIF par mois plus 2 mille de cotisation sociale. Ainsi, les membres se donnent des crédits à un taux d’intérêt de 5 % et se font des assistances sociales : 50 mille BIF pour un mariage, 20 mille BIF pour un membre hospitalisé, et 30 mille BIF pour celui qui perd un membre de la famille de premier degré. « Moi, elles sont venues m’assister à la maternité et m’ont félicité quand j’ai eu mon premier enfant », raconte notre source. Pour elle, la Banque centrale ne devrait pas s’engager dans ces petits groupements d’un « nombre de gens réduit ». Elle ne voit pas, elle et ses amies la raison d’aller à la BRB pour un probable enregistrement.
« Nous allons considérer que nous n’avons même pas entendu le communiqué », a réagi une autre maman membre d’un SILC à Kinanira, toujours en zone Musaga. Selon elle, aller à la BRB est trop exigeant. Elle se demande comment une dizaine de personnes qui cotisent 10 mille par mois ont besoin d’aller se faire enregistrer à la Banque centrale. Elle assure que son groupement continuera de travailler, malgré le communiqué de la BRB : « Nous avons partagé nos épargnes et intérêts, j’ai eu 120 mille plus 36 mille BIF d’intérêt. Et tout le monde est prêt pour recommencer en janvier 2024. » Elle révèle que certains membres du SILC ont déposé leurs épargnes et cotisations de janvier 2024, craignant de ne pas honorer leurs engagements après leurs dépenses des fêtes de fin et de début d’année.
Selon nos sources, les SILC et tontines ont une importance dans leur vie de tous les jours. Ils obtiennent des crédits à taux d’intérêt très bas sans recourir à d’autres individus qui, quelquefois sont réticents. « Ces SILC nous évitent d’être des fardeaux pour nos amis et parents ».
Néanmoins, ils reconnaissent qu’en cas de trahison, cela devient un problème. Selon un membre d’un SILC rencontré au centre-ville de Bujumbura, le partage d’épargne et d’intérêt n’est pas encore fait dans son groupement alors qu’il était prévu de le faire lundi 18 décembre. « Une des membres a voyagé alors qu’elle avait emprunté un montant de 4 000 mille BIF. » « Nous avons été obligés de l’attendre. » Ce jeune homme confie qu’il attend recouvrer une épargne de 240 mille et un intérêt de 180 mille BIF. Nos sources demandent à la BRB de revenir à sa décision et les laisser travailler tranquillement.
« La mesure est inopportune »
L’économiste Diomède Ninteretse estime que l’interdiction de toutes les tontines et SILC est une mesure provisoire. Il appelle SILC ou tontines, les associations de crédit et d’épargne des villages. Cet économiste considère que dans ces groupements, il y a des comportements qu’il faut plutôt encourager. « Le premier c’est la culture de l’épargne, le deuxième la culture du crédit et le troisième c’est la cohésion sociale. » En dehors de ces crédits, indique-t-il, les gens discutent de leur vie au niveau des quartiers et des collines. « Il y a des informations que la population a besoin de discuter, notamment des violences basées sur le genre, l’éducation des enfants, la santé, etc. »
« Interdire ce mouvement de la communauté au moment où on parle d’une population qui veut manger et avoir de l’argent en poche n’est pas opportun », critique Diomède Ninteretse. Ce que la BRB devrait faire, observe notre source, c’est peut-être de pouvoir l’encadrer davantage et lui créer un cadre légal et institutionnel. Il considère que cela peut se faire surtout par la sensibilisation des banques commerciales et des microfinances pour qu’elles puissent davantage organiser la population.
D’ailleurs, a-t-il tenu à souligner, il y a des SILC connectés avec les microfinances, lesquelles microfinances sont connectées aux banques qui sont à leur tour connectées à la Banque centrale.
Il confie qu’après la collecte de l’argent, les SILC déposent le montant dans des microfinances. Donc, pour lui, les empêcher de travailler est synonyme de couper cette chaîne de solidarité à la base.
L’économiste soutient que l’enregistrement à la BRB comme groupement communautaire financier n’est pas mauvais. Néanmoins, il fait savoir que cela doit être un processus : « D’abord, on commence d’une manière informelle, puis on formalise. » Ce qui est mauvais pour lui, c’est de couper cette culture de la population de se regrouper et de discuter de l’épargne et du crédit.
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