By IWACU
Arrestations, emprisonnements, traque, peur ; les Inyankamugayo, fidèles d’Agathon Rwasa dénoncent une « chasse à l’homme » et craignent le pire après la validation, par le ministre burundais de l’Intérieur, des conclusions du congrès extraordinaire tenu à Ngozi, dimanche le 10 mars 2024. Certains politiques s’expriment.
Jacqueline Uwizeyimana, surnommée Hafsa, jusque-là responsable du parti CNL dans la nouvelle circonscription de Buhumuza et Agnès Nibirantije, présidente des femmes inyankamugayo de la nouvelle province de Kayanza sont introuvables depuis quelques jours.
Selon une source provenant du camp Rwasa, ces femmes ont été arrêtées respectivement les 13 et 10 mars 2024. Originaire de la colline Musave dans la commune et province Kayanza, Agnès Nibirantije a été arrêtée au marché de Ngozi.
« C’est au moment où elle se rendait, avec d’autres militants pro-Rwasa, à Ngozi où s’est tenu un » congrès extraordinaire » du parti Cnl convoqué par les dissidents d’Agathon Rwasa, qu’Agnès et ses compagnons ont été interceptés », confie cette même source.
D’après une autre source au centre-ville de Ngozi, Mme Nibirantije et ses amis ont été arrêtés au marché de Ngozi et conduits à la police judiciaire. « Mais Nibirantije a été transportée seule dans un autre endroit à bord d’un véhicule appartenant à Espérance Kayitesi, officier de police judiciaire de Ngozi ».
Des proches de sa famille contactés disent ne pas comprendre comment cette « innocente » femme reste introuvable alors que ces coaccusés ont été libérés. « Nous avions des sources que Nibirantije est incarcérée au cachot du siège du Service national des renseignements (SNR) à Bujumbura, mais on vient de nous dire qu’elle n’est plus là. »
La responsable du CNL à Buhumuza a subi le même sort
« Enseignante à l’Ecofo Rubenga de la zone Mugano dans la commune de Giteranyi dans la province de Muyinga, Jacqueline Uwizeyimana a été arrêtée vers 13 heures lorsqu’elle revenait du travail. », raconte une source proche de sa famille.
Cette source indique que lorsqu’elle a quitté son travail, elle a aperçu derrière elle un pick-up de la marque Toyota Hilux blanc double cabine, aux vitres teintées. Elle avait alors alerté certains membres de sa famille et des collègues du parti.
D’après des témoins, ce véhicule est connu dans toute la province. Il appartient au colonel de police Félix Havyarimana, chef du SNR dans la province de Muyinga. « C’est lui-même qui est sorti pour embarquer Mme Jacqueline ». Depuis lors, elle reste aussi introuvable.
Arrestations et emprisonnements à Cibitoke et Kayanza
D’autres arrestations ont été dernièrement signalées dans la commune de Rugombo dans la province de Cibitoke et à Matongo dans la province de Kayanza. Selon E.D, l’un des fidèles d’Agathon Rwasa à Rugombo, un certain Théogène Bigirimana, responsable des jeunes inyankamugayo de la colline Rukana II a été enlevé le jeudi 14 mars 2024 vers 16heures.
« Ce sont les agents du SNR qui l’ont arrêté alors qu’il partageait un verre avec ses amis dans un bar dénommé « VIP » au centre Rugombo ». Ses proches indiquent qu’il serait incarcéré au commissariat de la province Cibitoke.
Dans la foulée, les fidèles d’Agathon Rwasa de la province Kayanza dénoncent ce qu’ils qualifient de « chasse à l’homme derrière le pseudo-congrès de Ngozi ».
« Par exemple, Emile Nibaruta, militant du Cnl et membre du Conseil communal de Matongo a été arrêté et malmené par des Imbonerakure dans la soirée de vendredi, le 15 mars 2024 quand il rentrait et reconduit au cachot de Matongo alors qu’il avait été relâché après le « congrès de Ngozi » », indique une source à Matongo.
D’après lui, les inyankamugayo qui ont été libérés après le congrès alors qu’ils tentaient d’accéder au lieu où se tenait ledit congrès, vivent dans la peur. « Les photocopies de leurs cartes d’identité ont été envoyées dans leurs localités respectives pour les identifier. »
Ce sont des arrestations, poursuivent d’autres sources à Kayanza, qui se font sur base de fausses accusations. « Même si les mobiles de ces arrestations ne sont pas officiellement communiqués, nous pensons que c’est à cause de leur fidélité envers Rwasa. Mais, est-ce un péché d’être fidèle à l’Honorable Agathon Rwasa ? C’est tout simplement une chasse à l’homme à motivation politique qui se réveille. »
« C’est une répression accrue contre les militants de taille qui sont restés fidèles à Agathon Rwasa. Rien que cela. », insistent-elles.
Des inyankamugayo interrogés demandent la libération de tous ceux qui sont arrêtés sur fond de leur appartenance politique et de les laisser tranquilles. « Le pays nous appartient tous, nous devons avoir les mêmes droits en tant qu’enfants de ce pays. »
La décision du ministre de l’Intérieur, « un rouleau compresseur »
Officiellement évincé, Agathon Rwasa n’est plus président et représentant légal du parti Cnl. C’est ce qui vient d’être confirmé par le ministre burundais de l’Intérieur, du Développement communautaire et de la Sécurité publique, Martin Niteretse.
Dans une correspondance signée le 18 mars, le ministre Niteretse valide les conclusions issues du congrès extraordinaire tenu à Ngozi le 10 mars par des dissidents d’Agathon Rwasa.
« Nous prenons acte du rapport et des décisions prises à l’occasion de ce congrès extraordinaire du parti Cnl tenu en date du 10 mars 2024 à Ngozi, notamment l’élection de Monsieur Nestor Girukwishaka comme président et représentant légal du parti Cnl ainsi que la mise en place du nouveau bureau politique dont le procès-verbal a été authentifié par le notaire », peut-on lire dans ladite correspondance.
Selon des témoignages, cette décision du ministre n’est qu’un rouleau compresseur qui vient mettre de l’huile sur le feu : « certainement, au regard des actes grandissants ‘’d’intolérance politique’’ que nous subissons déjà depuis pratiquement ce congrès de Ngozi, la décision du ministre de l’Intérieur vient enfoncer le clou. »
Certains s’indignent du silence de ceux qui se disent épris de la paix et de la démocratie. « A un certain moment, la communauté internationale lançait un cri d’alarme et montrait ses inquiétudes. Les confessions relieuses et la société civile faisaient la même chose. Mais aujourd’hui, elles sont disparues. Nous sommes un peuple voué à lui-même », lâche désespérément, G.R, un jeune de la capitale économique, Bujumbura.
Et de renchérir : « les dissidents nous connaissent, nos domiciles, là où nous travaillons. Ceux sont eux qui vont désigner ceux qu’il faut arrêter ou non »
Pour rappel, à quelques mètres de la salle où se tenait le congrès de Ngozi, des députés fidèles à Agathon Rwasa sont resté des heures sous le soleil, assis à même le sol sous l’ordre du gouverneur de la province de Ngozi et du commissaire provincial de la police. Un spectacle humiliant pour ces élus du peuple, selon certains témoignages.
Réactions
Agathon Rwasa : « C’est de la barbarie dernière édition en politique moderne »
D’entrée de jeu, Agathon Rwasa déplore les arrestations arbitraires suivies de détentions clandestines dirigées contre ses fidèles après le » pseudo congrès » de Ngozi.
« Imaginez-vous que le jour du soi-disant congrès, plus de 80 congressistes attitrés ont été interpellés et gardés à vue qui à Muramvya, qui à Kayanza, qui d’autres encore à Ngozi y compris des députés en fonction. Même au lendemain de cette mascarade, des arrestations arbitraires suivies de détentions clandestines sont à déplorer. »
D’après lui, cette situation n’est pas que de l’intolérance politique, mais plus, une barbarie dernière édition en politique moderne.
Revenant sur la décision du ministre de l’Intérieur de prendre acte des résultats du ‘’congrès du parti Cnl’’ tenu à Ngozi, Rwasa fait savoir que la décision n’est pas surprenante. « les mesures arbitraires et injustes à notre égard ne visaient que ce but. »
Pour lui, c’est plutôt une « comédie politique » mise en scène par le ministre de l’Intérieur pour le compte d’un régime qui se « fout » de tous. « Un « congrès du Cnl » auquel ni son Président ni les congressistes attitrés n’ont pas été conviés, c’est quel genre de congrès ? »
C’est un non-lieu, poursuit-il orchestré par un régime qui a une phobie incommensurable de la compétition démocratique. L’ancien vice-président de l’Assemblée nationale du Burundi estime par ailleurs qu’il est clair que si l’on était dans un Etat de droit, le ministre de l’Intérieur n’oserait pas agir de la sorte et il serait rappelé à l’ordre. « Hélas, on est dans un autre monde ! », fait-il remarquer.
Selon Rwasa, le pouvoir devait s’atteler à trouver des solutions à la crise multiforme qui paralyse presque tous les secteurs de la vie nationale au lieu de courir derrière lui et ses fidèles. Or, « voici que le régime se conforte dans la distraction de ses fidèles qui croient que se maintenir seul au pouvoir sans combattre la discrimination, la corruption, le détournement des deniers publics et autres malversations financières garantirait la réalisation du Burundi émergent…On mal parti ! »
Tatien Sibomana : « Tout cela pour torpiller le processus électoral en vue »
« Les arrestations et emprisonnements des militants du Cnl ne sauraient pas la première. Connaissant l’histoire récente de ce pays, à chaque fois qu’il y a un processus électoral qui approche, il y a eu toujours une recrudescence de ces actes. », observe Tatien Sibomana.
Aujourd’hui plus qu’hier insiste Sibomana, ces actes sont liés à la volonté des détracteurs de Rwasa qui veulent se faire légitimer de force.
Pour Tatien Sibomana cette recrudescence des arrestations et emprisonnements veulent mettre au pas les militants restés fidèles à Agathon Rwasa et légalistes par rapport aux textes régissant les partis politiques.
Mais il trouve que cela ne paie pas. « Parce qu’emprisonner un ou deux, dix ou même vingt ne vas pas légitimer pour autant le nouveau Président du Cnl. Au contraire, je pense qu’il faudrait trouver d’autres canaux de se faire légitimer que de faire emprisonner ses camarades de lutte, il n’y a pas longtemps. »
Concernant la décision du ministre de l’Intérieur, du Développement communautaire et de la Sécurité publique, Sibomana indique que ce n’est pas une surprise pour lui et pour tous les intéressés. C’était prévisible.
« Cela n’a été jamais une histoire de Nestor Girukwishaka et de son équipe. C’est une histoire du parti au pouvoir et du gouvernement y afférent. C’est pourquoi la décision du ministre dite de prise d’acte des résolutions et recommandations du « pseudo-congrès » n’a pas été une surprise. Parce qu’il devait couronner le processus qu’ils ont conçu, développé en tant que parti au pouvoir. »
C’est donc dire pour Tatien Sibomana que cette décision du ministre ne fait que confirmer la violation systématique de la loi sur les partis politiques et encore plus des textes réglementaires régissant le parti CNL.
Pour ce politique, le dernier recours devrait être le pouvoir d’équilibre, c’est-à-dire le pouvoir judiciaire. « Un pouvoir judiciaire indépendant sauve la nation, peu importe la position de l’exécutif. Si le pouvoir judiciaire décide de dire le droit et rien que le droit, cela ne sera pas au profit du Cnl. Mais au profit de tout un peuple, car tout cela est orchestré pour torpiller le processus électoral qui, en définitive, est la seule voie sure de ramener la paix et la concorde nationale dans notre pays. »
Ainsi, conclut Sibomana, le pouvoir judiciaire, en tant pouvoir d’équilibre devait prendre le terreau par les cornes et faire respecter la loi. « Mais nous ne sommes pas comme au Sénégal », se désole-t-il.
Gabriel Banzawitonde : « les militants du CNL n’ont qu’à reconnaitre les nouveaux dirigeants »
Selon Gabriel Banzawitonde, président de l’APDR, les militants du CNL n’ont qu’à reconnaître les nouveaux dirigeants. « Le parti CNL est doté de nouveaux organes et d’un nouveau président. C’est une grande satisfaction, car il y avait des problèmes au sein du parti qui devraient être résolus. Si des élections au sein du parti ont eu lieu et que le ministère en charge de la gestion des partis politiques a reconnu les conclusions du congrès tenu à Ngozi, les chicaneries doivent cesser ».
Il estime que ce qui se passe au sein du CNL n’est pas un phénomène de désagrégation des partis dit « Nyakurisation ». Il considère que le conflit est entre les propres militants de ce parti. Il pointe du doigt la mauvaise gouvernance au sein du parti. « Il y a eu des failles au niveau du parti. S’il y a une main extérieure, elle a profité de leurs faiblesses. ».
Au lieu de paniquer, les militants du CNL devraient s’aligner sur les directives des nouveaux organes approuvés par le ministère de l’Intérieur. « Chaque parti a ses statuts et son règlement d’ordre intérieur. Nous pensons que le ministère a bien lu les documents régissant le parti CNL. Les polémiques devraient donc cesser ».
Gabriel Banzawitonde suggère à la partie lésée de saisir la justice pour démontrer les irrégularités afin d’être rétablie dans ses droits ou à fonder sa propre formation politique ou encore à intégrer d’autres partis.
Il conseille les militants des partis politiques en général de suivre l’idéologie et de ne pas confondre le parti avec un individu. Les partis qui l’ont fait sont maintenant à l’agonie. « Le parti MRC Rurenzangemero a été confondu avec Epitace Bayaganakandi, le Parena avec Jean Baptiste Bagaza, le MSD avec Alexis Sinduhije. Quand les patrons sont partis, les partis ont disparu. Agathon Rwasa n’est pas CNL car il est mortel. Les gens doivent s’aligner derrière les idéologies, mais pas des personnes ».
Kefa Nibizi : « Pour le congrès du Cnl tenu à Ngozi, le ministre s’est contredit lui-même »
Selon Kefa Nibizi, président du Codebu, ce qui se fait au parti Cnl montre qu’il aurait une main invisible du pouvoir. « Le ministre de l’Intérieur avait suspendu les deux congrès du Cnl en 2023 sous prétextes qu’il n’y a pas de consensus de tous les membres du bureau politique. Il a suspendu toutes les activités du parti pour éviter des échauffourées. Le représentant du CNL récemment a demandé l’organisation d’un congrès refusé par le ministre, lui sommant de chercher le consensus de tous les membres du bureau politique pour dénouer la crise ».
Pour lui, jusque-là, on pouvait penser que le ministre essayait de rapprocher les deux parties antagonistes. La chose étonnante, dit-il, quelque temps après, l’autre partie a été autorisée de tenir un congrès avec un soutien extraordinaire des forces de défense et de sécurité. « Ce congrès n’avait pas requis le consensus de tous les membres du bureau politique. Le président du parti et le secrétaire général et des députés issus de ce parti, comme l’avait souhaité le ministre de l’Intérieur, n’ont pas été associés. Finalement, il a validé les conclusions de ce congrès. Donc, il s’est contredit lui-même. Il avait dit qu’il cherche le consensus ».
Le président du Codebu se pose la question de savoir s’il n’y a pas de l’immixtion des pouvoirs publics dans ce conflit à l’approche des élections de 2025. « Le parti Cnl était l’adversaire principal du CNDD-FDD. Nous avons entendu des arrestations en cascade des militants pro-Rwasa. Le conflit internet au Cnl ne devrait pas produire des victimes. Nous demanderions que tous ceux qui sont incarcérés dans ce contexte soient libérés et que personne ne soit encore inquiété, car il a une conviction politique ».
Pour lui, toutes les parties doivent s’abstenir de recours à des moyens coercitifs pour faire adhérer les autres à ses convictions ou vision. Il demande également à la partie lésée de s’abstenir de toute activité contraire à la loi et saisir les juridictions pour éviter de tomber dans le piège. À défaut, chercher d’autres formes de participation aux élections dans le strict respect de la loi.
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