By IWACU
Du 12 au 14 février 2024, le ministère de la Santé publique et de la Lutte contre le sida a organisé un dialogue sur le financement du système de la santé par des ressources internes. Ce rendez-vous aura permis de passer en revue tous les défis auxquels fait face ce secteur et d’analyser ensemble certaines pistes de solutions. La problématique liée à l’allocation efficiente des fonds disponibles et au manque de leadership a retenu beaucoup plus l’attention des participants.
Fait rare pour qu’il soit souligné. Ce dialogue aura en effet permis aux autorités du ministère de la Santé publique et de la Lutte contre le sida d’avouer et de reconnaître ainsi certains de leurs manquements.
A défaut de demander pardon tel dans un confessionnal, le mérite de ces assises a été qu’ils l’ont fait publiquement et à intelligible voix. Ainsi, à travers différentes interventions des panélistes, la problématique liée au leadership ; à la priorisation des actions à entreprendre pour plus d’efficience dans ce domaine et à la bonne gouvernance ont semblé occuper les devants.
Comme le secteur de la santé dépend à plus de 56,7% des appuis extérieurs, le but principal de ce rendez-vous était de voir comment mobiliser les ressources internes ou domestiques afin qu’au minimum la marge des 15% que recommande l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dans le budget national puisse être atteinte. Surtout que la conjoncture économique et l’austérité budgétaire sont un enjeu de taille pour le pays.
Comme thématiques principales retenues, il s’agissait de voir ensemble comment avoir : plus d’argent pour la santé ; plus de santé pour l’argent disponible ; l’équité et la protection financières ; une bonne gouvernance ; leadership et coordination du système de financement de la santé.
Parmi les points ayant retenu l’attention des participants se trouve l’efficience dans l’allocation de ces quelques ressources disponibles. « Une épine dans le pied du secteur de la santé qui persistera tant que certains cadres du ministère de tutelle n’auront pas compris que l’importance doit être accordée rien qu’à l’amélioration des services médicaux. C’est cela l’utilisation efficiente des ressources en santé publique », a souligné un cadre de l’OMS.
Selon lui, il est inconcevable que plus de 45% du budget du ministère sont alloués aux formations et aux ateliers alors que seuls 3% sont affectés pour les biens médicaux. Malheureusement, poursuit-il, il s’agit d’une fâcheuse tendance qui est loin de s’estomper aussi longtemps que la problématique liée à la fidélisation et à la stabilisation des carrières de tous les professionnels de santé, en tête de liste les médecins, n’aura pas encore trouvé de solutions. « Actuellement, c’est la mode. Un médecin de district, je ne sais de quelle province, va inventer un motif pour descendre dans un séminaire ou venir à la Camebu, pour je ne sais quel approvisionnement ou quelle réquisition. Tout cela pour voir comment joindre les deux bouts du mois. » fait-il remarquer.
La stabilisation des carrières, l’autre grand défi
Dans leurs interventions, différents panélistes parlent d’une situation qui fait qu’il y ait des inégalités dans la répartition des ressources humaines sur le territoire national. « Comme conséquence, la ville de Bujumbura devient la plus servie au détriment des autres provinces parce qu’au moins certains hôpitaux privés possèdent le plateau technique plus ou moins adéquat et ils sont à mesure d’offrir à ces médecins un salaire quelque peu décent par rapport à celui du secteur public ».
Le seul point positif est que malgré cette mise à nue de toutes les défaillances, les participants ont semblé s’accorder sur un fait : la possible mobilisation des fonds domestiques.
Néanmoins, a fait remarquer G.F, consultant présent à ces assises, ce sont des efforts qui seront toujours voués à l’échec tant que persistera le manque de priorisation des besoins. « Si actuellement dans de tout le pays il est possible de trouver une formation sanitaire (Fosa) dans un rayon de 5km, vaut-il vraiment la peine de continuer à construire les hôpitaux communaux ? Que représente un hôpital dépourvu même de tension-mètres ou de professionnels de santé qualifiés à mesure de faire une césarienne ? Peut-on vraiment se targuer que telle commune possède un hôpital ? Ou ce qui vaut le coup, c’est d’équiper ces structures sanitaires déjà existantes avec un matériel adapté, tout en veillant à la stabilisation des carrières des professionnels de santé qui y sont affectés ? ».
De quoi aussi s’interroger sur le rôle des cadres de ce ministère dans la planification sur le long terme. Surtout qu’elle impacte les différents hôpitaux de plusieurs districts sanitaires. « Imaginez un hôpital qui se voit dépouillé de tous ses meilleurs éléments parce qu’il n’est pas à mesure de payer les heures supplémentaires alors que sur ses comptes bancaires se trouvent des centaines de millions de francs burundais », s’interroge H.F, expert en santé publique.
Une aberration pour lui. Parce qu’il suffit qu’un cadre du parti au pouvoir dans cette province soit mis au parfum de la situation pour que cet argent soit décaissé et utilisé à des fins farfelues, alors qu’il pourrait être utilisé efficacement.
« Si réellement le gouvernement veut prendre à bras le corps cette question liée à la fidélisation et la stabilisation des carrières, le ministère de tutelle doit trouver des mécanismes appropriés pour canaliser les quelques fonds disponibles afin d’intéresser les médecins et les autres professionnels de santé encore à notre portée de main », suggère-t-il.
Des soins de qualité à tout prix
Au moment où la part du budget national allouée au secteur de la santé va decrescendo (7,3% actuellement contre 13,7 en 2020), cette rencontre aura aussi permis d’esquisser quelques pistes de solution dans la mobilisation des ressources domestiques. La hausse de certaines taxes comme celles sur le tabac ou les boissons prohibées par exemple. D’autres nouvelles taxes nouvelles pourraient être perçues comme celle sur les recettes minières, l’ISF (impôts sur la fortune) cher par exemple des propriétaires grosses cylindrées et bien d’autres.
A titre illustratif, Gilbert Niyongabo, professeur d’universités, laisse entendre que si jamais on haussait 1Usd à la douane sur les boissons prohibées, sur une année, il serait facile de récolter plus de 12 millions d’USD. « Des montants assez suffisants pour constituer un » Fonds spécial Santé » et espérer se ranger dans le juste milieu des indicateurs de l’OMS qui stipule qu’en temps normal, une somme de 112 USD /an pour chaque habitant est allouée à la couverture de ses soins de santé », laisse-t-il entendre.
Néanmoins, nuance J.F, banquier présent lors de ces assises, au regard des priorités de l’heure du gouvernement, cet objectif sera difficile à atteindre s’il ne perçoit pas la santé de sa population comme un outil de production. A l’instar des secteurs-clés comme l’agriculture et l’élevage, il indique que le gouvernement doit comprendre qu’une population mal soignée constitue un fardeau pour le pays. « En plus des frais liés à ses soins de santé, il y a le travail qui est au point mort. Ce qui, en retour, fait perdre au pays une somme considérable d’argent ».
La gestion efficiente des ressources disponibles qui va de pair avec la bonne gouvernance ainsi que la transparence dans la gestion des ressources allouées ont également retenu l’attention des participants.
Un accent plus important a été mis sur la place du leadership et la notion de redevabilité dans le financement du système de la santé. Une occasion de pointer du doigt certains cadres de ce secteur qui en ont fait un fonds de commerce, confondant santé publique et business personnels.
Allusion faite aux pharmacies qui foisonnent ou le processus lié à l’octroi des marchés des médicaments et aux achats des intrants qui se font, parfois, dans le plus grand secret.
Pour rappel, ce dialogue a été organisé dans le cadre de la mise en œuvre des engagements de mobilisation des ressources domestiques additionnelles en santé en vue de la Couverture sanitaire universelle (CSU). Une décision prise par les chefs d’Etat africains réunis à Addis Abeba en 2019.
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